
Oui, oui votre honneur, je m’étais promis de ne parler ici que de choses que je pourrais recommander à d’autres sans risquer de retrouver mon véhicule avec les 4 pneus crevés. Et là, comme tout le monde ou presque me dit : « ah, je vais aller voir ce film avec DiCaprio, ça a l’air cool », je me suis un peu senti obligé de, dans la mesure où Une bataille après l’autre peut être qualifié de beaucoup de choses, mais de film cool, certainement pas.
Mon arc de défense cinématographique principal réside en une chose assez simple : s’il est nécessaire de mettre en avant des arguments politiques ou sociaux pour prendre la défense d’un film, c’est qu’il y a un problème. Je vais donc mettre ces aspects de côté. Toute la critique dithyrambique s’y est déjà très (trop ?) largement attardé. Inutile donc d’en rajouter, au risque de passer – une nouvelle fois – pour un péquenaud tout juste bon à vanter les mérites d’une énième bobine 70s oubliée.
Passé les deux métrages qui l’ont fait connaitre (Boogie Nights et Magnolia), Paul Thomas Anderson ne s’est pas fendu de métrages faciles d’accès. Peu agréable, souvent hermétique, son cinéma a, a contrario, la grande qualité d’être à la fois très personnel et esthétiquement bluffant. Que l’on aime ou pas les films d’Anderson, fort est de constater que sa filmographie a une pertinence, une importance, dans un univers cinématographique par trop souvent aseptisé ou se contentant d’aligner de simples effets d’esbrouffe.

Après l’autobiographique Licorice Pizza, Paul Thomas Anderson déboule avec un mastodonte. Comprendre un film faussement simple dans sa construction et complexe à mettre en boîte car tourné en VistaVision (avec de la vraie pellicule, qui plus est via un format exigeant). Donc quelque chose qu’il faut impérativement voir dans d’excellentes conditions.
Au registre, il n’y a pas tromperie sur la marchandise : One Battle after Another est effectivement une authentique expérience visuelle, une vraie séance de cinéma. Cela fait-il d’Une bataille après l’autre un chef d’œuvre ? On peut, à nos risques et péril, répondre autrement que par la positive.
Prenant le parti du pamphlet (les américains disent « dark comedy »), P.T. Anderson parvient à éviter ce dans quoi des enfarineurs tels que Yorgos Lanthimos ou Ruben Ostlund ont mis maladroitement les deux pieds. Tout simplement parce qu’il est – Dieu merci – encore possible de regarder One Battle after Another sans devoir y chercher des qualités autres que cinématographiques.

Bourrés de références musicales (Steely Dan, Gil Scott-Heron), affichant un amour inconsidéré pour des œuvres cinématographiques singulièrement inaltérables (La bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo), Une bataille après l’autre fait un sans-faute durant sa première moitié, avec une narration de véritable équilibriste pouvant être abordée de 1001 manières. Sommes-nous devant une comédie, un drame ou un thriller ? Tout dépendra de la manière dont le spectateur recevra ce que Paul Thomas Anderson lui envoie en pleine figure.
La seconde partie du métrage interroge plus dans sa structure narrative, dans la mesure où le mélange de genre laisse place à un ton plus formel, qui détonne passablement avec l’intention initiale. On pourra aussi mettre en cause – mais c’est un euphémisme en 2025 – la longueur excessive du film, qui gagnerait peut-être en digestibilité si ramené à une durée raisonnable.
Reste de manière indiscutable un long-métrage à la mise en scène ultra-maitrisée et hautement originale. Jamais en effet une « course-poursuite » (« chase » dans la langue de Shakespeare), située sur de longues routes désertiques avec de très fortes dénivelées, n’aura été filmée de manière aussi audacieuse. Un film pas très agréable certes, qui divisera sans doute, mais que l’on regardera à coup-sûr au fil des années avec un œil sans cesse différent.
Une bataille après l’autre (One Battle after Another) de Paul Thomas Anderson, avec Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Benicio Del Toro, Chase Infiniti, Regina Hall, Teyana Taylor, Wood Harris, 2h41. Actuellement sur les écrans.
