UNE BATAILLE APRES L’AUTRE (ONE BATTLE AFTER ANOTHER, Paul Thomas Anderson, 2025)

Oui, oui votre honneur, je m’étais promis de ne parler ici que de choses que je pourrais recommander à d’autres sans risquer de retrouver mon véhicule avec les 4 pneus crevés. Et là, comme tout le monde ou presque me dit : « ah, je vais aller voir ce film avec DiCaprio, ça a l’air cool », je me suis un peu senti obligé de, dans la mesure où Une bataille après l’autre peut être qualifié de beaucoup de choses, mais de film cool, certainement pas.

Mon arc de défense cinématographique principal réside en une chose assez simple : s’il est nécessaire de mettre en avant des arguments politiques ou sociaux pour prendre la défense d’un film, c’est qu’il y a un problème. Je vais donc mettre ces aspects de côté. Toute la critique dithyrambique s’y est déjà très (trop ?) largement attardé. Inutile donc d’en rajouter, au risque de passer – une nouvelle fois – pour un péquenaud tout juste bon à vanter les mérites d’une énième bobine 70s oubliée.

Passé les deux métrages qui l’ont fait connaitre (Boogie Nights et Magnolia), Paul Thomas Anderson ne s’est pas fendu de métrages faciles d’accès. Peu agréable, souvent hermétique, son cinéma a, a contrario, la grande qualité d’être à la fois très personnel et esthétiquement bluffant. Que l’on aime ou pas les films d’Anderson, fort est de constater que sa filmographie a une pertinence, une importance, dans un univers cinématographique par trop souvent aseptisé ou se contentant d’aligner de simples effets d’esbrouffe.

Après l’autobiographique Licorice Pizza, Paul Thomas Anderson déboule avec un mastodonte. Comprendre un film faussement simple dans sa construction et complexe à mettre en boîte car tourné en VistaVision (avec de la vraie pellicule, qui plus est via un format exigeant). Donc quelque chose qu’il faut impérativement voir dans d’excellentes conditions.

Au registre, il n’y a pas tromperie sur la marchandise : One Battle after Another est effectivement une authentique expérience visuelle, une vraie séance de cinéma. Cela fait-il d’Une bataille après l’autre un chef d’œuvre ? On peut, à nos risques et péril, répondre autrement que par la positive.

Prenant le parti du pamphlet (les américains disent « dark comedy »), P.T. Anderson parvient à éviter ce dans quoi des enfarineurs tels que Yorgos Lanthimos ou Ruben Ostlund ont mis maladroitement les deux pieds. Tout simplement parce qu’il est – Dieu merci – encore possible de regarder One Battle after Another sans devoir y chercher des qualités autres que cinématographiques.

Bourrés de références musicales (Steely Dan, Gil Scott-Heron), affichant un amour inconsidéré pour des œuvres cinématographiques singulièrement inaltérables (La bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo), Une bataille après l’autre fait un sans-faute durant sa première moitié, avec une narration de véritable équilibriste pouvant être abordée de 1001 manières. Sommes-nous devant une comédie, un drame ou un thriller ? Tout dépendra de la manière dont le spectateur recevra ce que Paul Thomas Anderson lui envoie en pleine figure.

La seconde partie du métrage interroge plus dans sa structure narrative, dans la mesure où le mélange de genre laisse place à un ton plus formel, qui détonne passablement avec l’intention initiale. On pourra aussi mettre en cause – mais c’est un euphémisme en 2025 – la longueur excessive du film, qui gagnerait peut-être en digestibilité si ramené à une durée raisonnable.

Reste de manière indiscutable un long-métrage à la mise en scène ultra-maitrisée et hautement originale. Jamais en effet une « course-poursuite » (« chase » dans la langue de Shakespeare), située sur de longues routes désertiques avec de très fortes dénivelées, n’aura été filmée de manière aussi audacieuse. Un film pas très agréable certes, qui divisera sans doute, mais que l’on regardera à coup-sûr au fil des années avec un œil sans cesse différent.

Une bataille après l’autre (One Battle after Another) de Paul Thomas Anderson, avec Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Benicio Del Toro, Chase Infiniti, Regina Hall, Teyana Taylor, Wood Harris, 2h41. Actuellement sur les écrans.

DALLOWAY (Yann Gozlan, 2025)

Romancière en mal d’inspiration, Clarissa (Cécile de France) rejoint une résidence d’artistes prestigieuse à la pointe de la technologie. Elle trouve en Dalloway (Mylène Farmer), son assistante virtuelle, un soutien et même une confidente qui l’aide à écrire. Mais peu à peu, Clarissa éprouve un malaise face au comportement de plus en plus intrusif de son IA…

En 2006, Yann Gozlan se faisait remarquer chez les fans d’horreur avec Captifs, énième film de genre sorti au milieu d’une multitude d’autres en hexagone, affichant tous une violence graphique aussi outrancière qu’inutile. Quelle ne fut pas notre bonne surprise de le retrouver quelques années plus tard aux commandes de Un homme idéal, thriller chabrolien porté par un Pierre Niney qui y gagnait ses galons de comédien.

Retrouvant l’acteur en 2021 pour Boîte noire, Yann Gozlan s’affranchissait d’une quelconque affiliation possible avec ce thriller à connotation paranoïaque de haut vol, tellement bon qu’on s’étonne d’ailleurs que le cinéma US ne s’en soit pas encore saisi pour une inutile remake. On avait donc grand espoir pour Visions, son métrage suivant, resté inédit sur nos écrans helvétiques.

Était-ce un signe ? Toujours est-il que ce troisième thriller, aux frontières du fantastique cette fois-ci, qui suivait les troubles d’une pilote de ligne (épatante Diane Kruger) incapable de voler car atteinte de troubles visuels, lorgnait de manière trop évidente du côté de David Lynch pour convaincre autrement que via une curiosité logique.

C’est donc avec 1000 pincettes que l’on entreprit la vision de Dalloway, le métrage proposant à nouveau le portrait d’une femme émancipée en proie avec phénomènes externes – cette fois-ci identifiés – venant perturber sa vie réglée comme du papier à musique.

Loin de la déception qu’il provoquait avec son précédent long-métrage, Gozlan ne parvient pourtant pas complètement ici à renouveler un créneau usé jusqu’à la corde : celui du conflit entre une personne de plus en plus instable face à une technologie peu aidante au-delà des apparences.

Si Cécile de France est étonnamment très à l’aise avec son personnage, si l’idée d’aller chercher Mylène Farmer que l’on ne verra jamais – elle prête ici uniquement sa voix à l’IA de l’héroïne – on est bien obligé de constater que Dalloway ne restera pas dans les mémoires autrement que via le sentiment d’avoir passé un agréable moment.

La raison semble double : d’un côté, Tatiana de Rosnay, auteure du livre à l’origine du scénario de Dalloway, n’est pas très à l’aise avec la science-fiction, de l’autre Yann Gozlan sans doute quelque peu prisonnier de références du genre autrement plus essentielles (Gattaca d’Andrew Niccol, Ex_Machina d’Alex Garland, Minority Report de Steven Spielberg), mais tout en restant par chance largement au-dessus de productions US surfant sur le même principe (M3GAN, L’IA du mal)

Le réalisateur ayant enchainé très rapidement avec le tournage d’un troisième film mettant en scène Pierre Niney, on peut imaginer que son implication dans la post-production de Dalloway fut moindre. Gourou laissant présager le meilleur et arrivant déjà sur nos écrans en janvier 2026, il est donc fort probable que la prochaine cuvée de Gozlan sera une meilleure, voire très bonne…

Dalloway de Yann Gozlan, avec Cécile de France, Anna Mouglalis, Lars Mikkelsen, Frédéric Pierrot, Freya Mavor et la voix de Mylène Farmer, France/Belgique, 1h50. Actuellement sur les écrans.

SIRAT (Oliver Laxe, 2025)

Après que sa fille ait disparu sans laisser de traces lors d’une rave party au Maroc il y a plusieurs mois, Luis (Sergi Lopez) se lance à sa recherche. Il est accompagné dans son périple par Esteban (Bruno Nunez), son fils de douze ans. Ses recherches le poussent à intégrer des techno-party illégales en plein désert…

J’avoue, votre honneur : je m’étais promis, voire juré, de ne défendre ici que des causes auxquelles j’étais acquis. Mais quand un film me laisse relativement de marbre, moi le simple cinéphage ayant malgré tout acquis certaines connaissances au fil de temps, face à une intelligentsia auto-proclamée et inconditionnellement acquise à la cause d’une œuvre, je ne peux m’empêcher de m’insurger poliment.

Le film incriminé s’appelle Sirat, il est réalisé par le réalisateur galicien Oliver Laxe et, depuis sa consécration indirecte à Cannes (certains y voyaient une Palme d’Or évidente), a conquis la stratosphère hipster. Donc les gens qui regardent de vrais films pour les bonnes raisons (comprendre : si tu ne trouves pas un sous-texte socio-politique a un long métrage, ben c’est que c’est de la merde).

Je suis malgré tout allé voir Sirat assez confiant au vu des retours reçus, en provenance de différents milieux. Donc pas uniquement les gardiens du temple et autres Ayatollah du cinéma, jamais avares d’une petite leçon de morale à deux balles.

« Eh bé » comme on dit loin des capitales. Consternation serait une terminologie un peu forte au regard de mon sentiment à la sortie de la salle. Mais bon, faire un cirque pareil pour un film relativement chiant, totalement assourdissant (parait que le compositeur de la BO est un haut ponte de la scène électro berlinoise. Je lui cherche encore un quelconque signe de génie), Sirat contient juste deux séquences chocs, totalement inattendues, très bien orchestrées, et qui font en toute logique leur petit effet (pas très surprenant quand survient quelque chose de stimulant alors qu’on s’emmerde ferme depuis 70 minutes).

Visiblement – bien que ne le disant pas – sous influence d’autres métrages autrement plus réussis en mode « conquistadors de l’inutile » (Aguirre et Fitzcarraldo de Werner Herzog, The Lost City of Z de James Gray), Oliver Laxe réduit ici à néant une quelconque possibilité de « divertissement » au profit d’un nihilisme creux comme une amphore made in China.

Car une œuvre nihiliste ne peut pas simplement, sauf si elle se fout totalement du monde, être quelque chose où on ne fait qu’aligner de jolies séquences bien foutues, avec l’appui d’un scénario tenant dans un dé à coudre et avec l’argument bidon de la fin ouverte menant à une introspection personnelle.

Bon, a priori je n’ai rien compris : Sirat serait plus qu’un film, un authentique déclencheur permettant de « regarder à l’intérieur soi à travers le goût pour le crépuscule du cinéaste, qui peut également être une source de lumière » (je n’invente rien : je ne fais que citer le dossier de presse du film).

Laxe ferait beaucoup mieux d’assumer s’être largement inspiré du Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot et de Sorcerer, son admirable remake réalisé par William Friedkin. Egalement d’avoir sur sa table de chevet des films australiens barrés tels que Wake in Fright de Ted Kotcheff et le sublime mais toujours méconnu Walkabout de Nicholas Roeg. Aussi, de manière peut-être moins flagrante car entrant dans le registre « le film n’a tellement rien à voir que je peux piquer des plans entiers sans que personne ne moufte », Pink Floyd at Pompeii, auquel la présente « œuvre » subtilise carrément toute sa séquence introductive.

Renvoyons donc les personnes ayant trouvé Sirat exceptionnel – ce qui reste évidemment leur droit le plus légitime – devant les films précités et surtout ce qui restera à tout jamais comme le mètre-étalon du genre : Le trésor de la Sierra Madre de John Huston, incontestablement un des meilleurs métrages jamais réalisés, et sur lequel le poids des années n’a que très peu d’emprise. Une œuvre essentielle, majeure, dans laquelle n’importe quel spectateur pourra s’identifier. Tout le contraire du film de Sirat en somme…

Sirat d’Oliver Laxe, avec Sergi Lopez, Stefania Gadda, Jushua Liam Herderson, Tonin Janvier, Jade Oukid, Richard Bellamy, Espagne/France, 1h55. Actuellement sur les écrans.

EVANOUIS (WEAPONS, Zach Cregger, 2025)

Une nuit, à 2 h 17 du matin à Maybrook, une petite ville de Pennsylvanie, 17 enfants de la même classe quittent simultanément leur domicile sans laisser de trace. Alex (Cary Christopher), un enfant timide, ne fait pas partie de cette disparition collective. Son enseignante, l’instable Justine Gandy (Julia Garner), est très rapidement écartée des suspects par la police, et ce malgré les soupçons que laissent peser sur elle la population de la ville…

Les films d’horreurs ont tellement le vent en poupe depuis quelque temps qu’il semble désormais impossible de passer un mercredi sans en voir un nouveau apparaitre sur nos écrans. Tandis que beaucoup se contentent de remplir leur contrat en proposant leur lot de jump scares à un public ciblé, d’autres parviennent à se distinguer via une certaine originalité parfois payante (Bring Her Back, Together), parfois désolante (Sinners, 28 Years Later).

Sorti au milieu de cette multitude de métrages sans matraquage publicitaire particulier il y a deux semaines, Weapons (stupidement retitré Evanouis sur les territoires francophones du Vieux Continent – le Québec ne faisant une fois n’est pas coutume pas mieux avec le libellé Heure de disparition) avait toutes les raisons du monde pour n’être qu’une petite sortie confidentielle parmi d’autres, quittant en moins de temps qu’il ne faut pour le dire nos écrans.

Par chance, un succès inespéré du film au box-office US et une curiosité bienvenue de la part des spectateurs auront permis à cette bobine à la fois originale et ultra flippante de s’ancrer solidement dans nos salles, au point d’être le succès inattendu de l’été. La chose est d’autant plus étonnante que Weapons ne répond effectivement que de très loin aux sacro-saints critères du genre.

Les traditionnels jump scares laissent ici place à de longues séquences souvent dénués de dialogues, voire de musique, renforçant l’impact émotionnel du film, tout en plongeant le spectateur au cœur de l’intrigue en même temps que les protagonistes. Avec un rythme lent renforcé pour une mise en scène sobre mais très classe, le réalisateur Zach Cregger (Barbare) immerge l’audience dans cette curieuse histoire d’enfants disparus, faisant certes appel au surnaturel mais dans laquelle on évite – dieu merci – les sempiternels boogey men et autres démons possédés.

Reposant en grande partie sur les épaules de Julia Garner, comédienne habituée des films horrifiques généralement crispante (le navrant Apartment 7A – prologue totalement vain de Rosemary’s Baby, le consternant dernier Wolf Man), Weapons doit également beaucoup à Amy Madigan, visage récurant du cinéma populaire du début des années 1990 (Fields of Dreams, Uncle Buck, The Dark Half), chelou à souhait ici, et au jeune Cary Christopher, déjà vu dans plusieurs séries, qui semble désormais promu à un bel avenir.

Rarement un film de genre, qui plus est issu d’un grand studio, n’aura réussi à autant faire peur. Car oui, Weapons est une œuvre vraiment flippante. Parfait croisement entre Halloween de John Carpenter pour son ambiance, Twin Peaks de David Lynch pour son atmosphère, un film de Tarantino pour son humour transgressif et sa narration chapitrée (définitivement le détail faussement anodin faisant ici toute le différence) et une métaphore assez cinglante en sous-texte sur les dérives actuelles de notre société occidentale, le film de Zach Cregger dépasse de très loin ce qu’on serait en droit d’attendre d’un tel produit. Un film d’auteur ? D’une certaine manière oui. En tous les cas, assurément un des meilleurs longs métrages de l’année.

Evanouis (Weapons) de Zach Cregger, avec Julia Garner, Josh Brolin, Alden Ehrenreich, Amy Madigan, Cary Christopher, Benedict Wong, Etats-Unis, 2h08. Actuellement sur les écrans.

SUBSTITUTION (BRING HER BACK, Danny & Michael Philippou, 2025)

A la mort de leur père, Andy (Billy Barratt), un ado rebelle, et Piper (Sora Wong), une pré-adolescente malvoyante, sont placés dans une famille d’accueil. A l’arrivée dans leur nouvelle maison, ils sont surpris par l’attitude quelque peu fantasque de Laura (Sally Hawkins), leur hôte, une psychologue qui vient de perdre sa fille unique…

Débarqué de nulle part il y a deux ans sur nos écrans, Talk To Me, petit film d’horreur australien, cassait la barraque au box-office en même temps qu’il révélait ses auteurs, Danny & Michael Philippou. D’un coût total de moins de 5 millions de dollars, le film en rapportera pas loin de 100 à travers le monde, ce qui en fait une des œuvres les plus rentables de l’année cinématographique 2023.

De retour avec un deuxième long métrage une nouvelle fois apparenté au genre horrifique, les jumeaux bénis d’Australie semblent bien partis pour réitérer le succès de leur coup d’essai. Faisant à nouveau la belle place à de jeunes talents peu connu de grand public, les frangins s’allouent en prime les bons offices d’une actrice confirmée, Sally Hawkins, comédienne britannique habituée du cinéma de Mike Leigh.

Si Bring Her Back est ultra efficace et, il faut bien le dire, assez éprouvant, on est, comme ce fut le cas pour Talk To Me, étonné par la psychologique diffuse des personnages, impactant de manière signification le déroulement des événements, qui en deviennent par instant peu crédibles. Un comble pour des œuvres jouant à fond les ballons la carte du premier degré.

On est certes guère étonné, genre oblige, de voir nos deux protagonistes principaux se jeter dans la gueule du loup sans faire cas d’éléments pourtant chelous dès leur arrivée chez leur hôte. On l’est un peu plus lorsque les événements s’intensifient et que nos deux andouilles restent confiantes à propos de Laura, dont les agissements anarchiques ne préconisent aucun schéma structuré, laissant du même coup émerger quelques faiblesses scénaristiques et la limite de principe appliqué par les Philippou Brothers.

Mais tout ceci n’est guère dommageable, tant l’ensemble est rondement mené et diablement efficace. Et si tous les films d’horreur qui pullulent sur nos écrans à longueur de semaine avaient cette tenue, le cinéma de genre s’en porterait bien mieux. Aucune raison donc de se priver de cette petite bombe, à condition toutefois d’avoir l’estomac bien accroché.

Substitution (Bring Her Back) de Danny & Michael Philippou, avec Sally Hawkins, Billy Barratt, Sora Wong, Jonah Wren Phillips, Australie, 1h44. Actuellement sur les écrans.

DANGEROUS ANIMALS (Sean Byrne, 2025)

Surfeuse intrépide évitant à tout prix une quelconque attache, Zephyr (Hassie Harrison) fait la connaissance de Moses (Josh Heuston), avec qui elle passe la nuit. Avant que l’aube de ne lève, Zephyr quitte son amant d’un soir pour être la première sur un spot incontournable. Tombée en panne avec son van, Zephyr se fait kidnapper par Tucker (Jai Courtney), un tueur en série aux méthodes plutôt originales…

A la lecture du pitch de Dangerous Animals, on a beaucoup de mal à imaginer autre chose qu’un magistral nanar. Un tueur en série qui s’amuse à séquestrer de jolies filles afin de les filmer sur VHS lorsqu’il les donne à bouffer aux requins : on avait pas entendu canevas plus débile depuis Sharknado. Impossible pourtant de résister à l’envie de voir sur pièce ce que ce projet absurde pourrait donner, sans parler du fait qu’on ne rechigne jamais à voir des requins, quand bien même ces derniers seraient mal foutus, sur un écran de cinéma.

Bien nous en a pris puisque contre toute attente, Dangerous Animals est une bonne surprise. Certes la crédibilité de l’ensemble frise avec le néant. Outre le fait que notre serial killer, sorte de Buffalo Bill adorant danser devant un miroir vêtu d’un slip kangourou et d’une robe de chambre de Yakuza, aurait de quoi déclencher le fou rire d’une audience, on est totalement abasourdis que cet humaniste d’une autre espèce parvienne, depuis Dieu sait combien de temps, à opérer sans se faire choper, tant ses méthodes sont peu discrètes. Étonnement convaincant dans le rôle, Jai Courtney (Jack Reacher), dont l’apparence s’est largement épaissie, renvoie directement au personnage de fou-furieux incarné par Russell Crowne dans le non-moins efficace Enragé.

Reposant en grande partie sur les épaules charismatique de Hassie Harrison (Yellowstone), Dangerous Animals ne manque jamais une occasion de faire mal au spectateur via des séquences comico-gores, à faire mal même les yeux plissés.

Ultra-efficace, sans temps mort et il faut bien le dire assez éprouvant, Dangerous Animals fait partie de ces séries B au concept certes absurde mais sans prétention, ne se prenant pas un quart de seconde au sérieux, qui manquent cruellement au cinéma du samedi soir depuis de nombreuses années.

Dangerous Animals de Sean Byrne, avec Hassie Harrison, Jay Courtney, Josh Heuston, Ella Newton, Australie/Etats-Unis/Canada, 1h38. Actuellement sur les écrans.

RAPACES (Peter Douroutzis, 2025)

Vieux briscard du journalisme de fait divers, Samuel (Sami Bouajila) et sa fille Ava (Mallaury Wanecque), actuellement en stage dans la rédaction, couvrent pour leur magazine le meurtre d’une jeune fille attaquée à l’acide. Frappé par la brutalité de ce meurtre, ainsi que par l’intérêt d’Ava pour l’affaire, Samuel décide de mener une enquête indépendante, à l’insu de sa rédaction. Il découvre des similitudes troublantes avec l’assassinat d’une autre femme, survenu dans la même région deux ans auparavant…

A la vision de Rapaces, La nuit du 12 nous vient immédiatement à l’esprit. Prenant également son point d’ancrage dans un fait divers authentique (l’affaire Elodie Kulik), Rapaces se distance rapidement, comme le film de Dominik Moll, du réel pour adopter un point de vue éloigné du réel. Là au le film multi-césarisé jouait très habilement la carte du cold case obsédant son enquêteur (canevas décidément à la base des plus mémorables thrillers de l’histoire du cinéma), Rapaces opte pour l’enquête journalistique parallèle avec un dénouement.

Si la volonté du cinéaste Peter Douroutzis est à la fois originale et très efficace, elle en devient aussi le point ambivalent de l’entreprise. Le titre du film et la très longue séquence d’introduction laisse entendre clairement que les journalistes de l’hebdomadaire Détective (puisque la rédaction est nommée) sont prêts à tout pour atteindre leur but, quitte à utiliser des méthodes plus que discutables. Or, plus les minutes avancent, plus il parait évident que le réalisateur tente de revaloriser ce genre de presse (dont les prémices, au début du XXe Siècle, furent chapeautés par de remarquables plumes).

Ce point de vue changeant en cours de récit oblige également Douroutzis de laisser sur le carreau ses personnages secondaires (Jean-Pierre Daroussin, Valérie Donzelli, Stefan Crepin), tous excellents. On en serait même à se demander pourquoi ces derniers ont été à ce point développés, puisque leurs parcours personnels ne se télescopent jamais avec le récit  central.Par chance, la mise en scène et le scénario sont suffisamment denses pour l’on oublie presque de problème pourtant fondamental.

Doté d’un suspense exceptionnellement efficace, les 20 dernières minutes du film sont d’ailleurs puissance rare, sans pour autant que le réalisateur ne fasse appel à des artifices inutiles. Toute la séquence finale (à propos de laquelle nous ne divulgâcheront évidemment pas) est d’ailleurs tellement simple, dans sa structure narrative, qu’on est même surpris qu’elle fonctionne si bien.

Niveau casting, le film profite du succès de L’amour ouf, car tenu en bonne partie par la jeune Mallory Wanecque, véritable révélation du film de Gilles Lellouche. Sans être exempt de défaut, Rapaces séduira sans l’ombre d’un doute les amateurs de polars suffisamment originaux dans leur construction pour arriver à tirer leur épingle du jeu.

Rapaces de Peter Douroutzis, avec Sami Bouajila, Mallory Wanecque, Jean-Pierre Daroussin, Valérie Donzelli, Stefan Crepon, Andréa Bescond, France, 1h44. Actuellement sur les écrans.