Dominik Moll, 17 novembre 2025

En tournée promotionnelle à l’occasion de la sortie de son dernier film Dossier 137, le réalisateur Dominik Moll a accepté d’échanger avec nous à propos de son rapport au cinéma, mais aussi de la manière très pertinente dont il parvient à aborder des thématiques sociétales sans jamais perdre de vue son intention première.

Vos deux derniers films, La nuit du 12 et Dossier 137, appartiennent à ce que l’on appelle de nos jours le thriller social. A savoir des fictions très ancrées dans notre époque et dans lesquelles un sous-texte politique se dessine en filigrane. Dans La nuit du 12, c’était le féminicide. L’action de Dossier 137 se déroule avec en toile de fond la crise des gilets jaunes. Est-il devenu essentiel d’avoir un sujet sociétal en toile de fond ou peut-on encore penser un long métrage comme un thriller, entre guillemets, « divertissant » ?

Lorsque je commence un projet de film, je ne me dis jamais « quel sujet sociétal je pourrais aborder ? ». Pour La nuit du 12 par exemple, je ne me suis pas dit « je veux raconter une enquête policière autour d’un féminicide ». Tout est parti d’un livre-enquête très documenté, écrit par Pauline Guéna, auteure qui avait passé un an en immersion à la PJ Versailles. L’enquête dont parle le film est une des nombreuses que l’on retrouve dans le bouquin.

Ce qui m’intéressait, c’était de raconter de quelle manière un enquêteur de la PJ peut être hanté par une affaire lorsqu’il n’arrive pas à la résoudre. L’enquête choisie démarre sur le meurtre d’une jeune femme. Donc effectivement, un féminicide. Et c’est assez rapidement, en discutant avec mon camarade d’écriture Gilles Marchand, avec qui je travaille depuis mes débuts, que nous nous sommes aperçus que les rapports hommes-femmes allaient indirectement être au cœur du film.

Comme le milieu de la PJ est encore très masculin, les choses ont évolué naturellement dans ce sens. C’était donc bien au départ l’idée de faire un film de genre centré sur un policier hanté par une affaire. Les thématiques sociétales se sont glissées peu à peu à l’intérieur du scénario.

Il est vrai que le film de genre a l’avantage de pouvoir raconter une histoire avec des codes précis, que les gens reconnaissent, qui les laisse dans une zone de confort. Y glisser sans artifice ou insistance des questionnements plus profonds est devenu pour moi quelque chose d’assez naturel.

J’ai souhaité aborder cette thématique, car je trouve qu’à l’heure actuelle, on a trop tendance à mettre l’accent sur le côté sociétal pour vendre un film. S’il devient nécessaire d’avancer un argument social ou politique pour vendre un film, ne serait-on pas face à une forme de marché de dupes ?

Je suis d’accord avec vous. Il faut d’abord être rattaché à quelque chose d’immédiatement identifiable. Quelque chose qu’on a envie de suivre. C’est seulement à partir de là, si le pari s’avère réussi, que l’on peut marier un genre avec des préoccupations ou des questionnements plus sociétaux. Des aspects qui bien évidemment me passionnent aussi, que ce soit en tant que citoyen ou en tant que réalisateur.

La nuit du 12 © Haut et Court

La nuit du 12, explorait l’aspect « cold case » du thriller, un peu comme David Fincher le faisait avec Zodiac. Dossier 137 aborde quant à lui le côté « seul contre tous », tel que l’explorait Sidney Lumet dans Serpico. J’ai le sentiment  que vous pourriez être très à l’aise avec un thriller purement paranoïaque…

N’oubliez pas que tous les grands thrillers paranoïaque entretiennent des liens étroits avec la politique (rires).

La nuit du 12 trouve indirectement son point d’ancrage dans quelque chose que l’on peut apparenter à un fait divers. Quelle a été l’impulsion de départ pour Dossier 137, qui trouve également son origine au cœur d’une histoire vraie ?

C’est l’institution de la police des polices qui m’intriguait. Donc là aussi, je ne suis pas dit « je veux faire un film qui parle de violences policières ou du rapport police-citoyen ». C’était d’abord, de mettre en lumière le fonctionnement de l’IGPN (ndlr : inspection générale de la police nationale)

En ayant discuté avec des policiers de différentes brigades, je voyais bien que les enquêtrices et les enquêteurs de l’IGPN ne sont pas très bien vus, qu’ils sont un peu considérés comme des traîtres. Et je voyais aussi, en lisant des articles consacrés à des affaires de violences policières, que l’IGPN était très critiquée.

Ce qui ressortait le plus était que des policiers qui enquêtent sur des policiers ne peuvent pas être impartiaux. Et très vite, je me suis dit qu’un enquêteur ou une enquêtrice qui est dans cette position très inconfortable, un peu entre deux feux, un peu critiqué des deux côtés, pouvait être un point de départ intéressant pour un personnage de fiction.

Est-ce que Léa Drucker était votre premier choix pour incarner le personnage principal de Dossier 137 ?

Je l’ai rapidement imaginée dans le rôle et ensuite, et je n’ai plus réussi à me la sortir de la tête. Au fil des semaines, c’est un peu devenu une écriture pour elle. Même quand j’écrivais des dialogues, j’entendais sa voix, ses intonations. Dès que la première version du scénario fut terminée, je me suis empressé de lui proposer et elle a tout de suite dit oui. J’en étais évidemment ravi, et j’en suis encore plus heureux aujourd’hui, maintenant que le film est sur les écrans.

Dossier 137 © Fanny de Gouville // Modds

Etes-vous conscient d’être un des rares cinéaste capable de créer un réel sentiment de peur, d’effroi, avec des choses simples ? Je pense à une scène en particulier de La nuit du 12, où les deux enquêteurs sont de retour sur les lieux du crime en pleine nuit et s’aperçoivent que quelqu’un les observe.

Tant mieux si la vision de ce type immobile, dont on ne sait rien, qui sort d’on ne sait où et qui porte cette vraie étrangeté inquiétante, fonctionne aussi bien. Donc oui, bien sûr, c’est totalement intentionnel de ma part, mais je suis toujours ravi d’apprendre que l’astuce fonctionne.

A plusieurs reprises dans Dossier 137, on voit des personnes regarder des vidéos sur leur smartphone mettant en scène des chats. Ces images agissant comme soupape de décompression face à des situations complexes à gérer pour eux. Or, on sait très bien qu’il n’y a rien de plus néfaste pour notre santé mentale que de scroller des absurdités sur son téléphone…

La consommation de vidéos de chats à petite dose est tout à fait recommandable, même par votre médecin (rire). Mais si ça dépasse la dose homéopathique, c’est évidemment problématique. Les réseaux sociaux, le scrolling, le flux incessant de notification qui arrivent sur votre téléphone empêchent clairement de réfléchir en profondeur et de voir la complexité des choses importantes qui nous entourent.

Je me suis efforcé, dans Dossier 137, à ne pas proposer quelque chose de manichéen mais de questionner, de montrer la complexité de ce mouvement des gilets jaunes, du maintien de l’ordre, de l’influence du gouvernement et de la rhétorique des représentants politiques à propos des répercussions. La première étant la difficulté, la complexité du travail d’un enquêteur de l’IGPN dans un tel contexte.

Pour en revenir à l’effet addictif de nos smartphones, je pense que la salle de cinéma reste le seul endroit où on est obligé de couper son portable. Donc d’être concentré sur un sujet. A la maison, même si on regarde un film dans de très bonnes condition, avec son vidéoprojecteur sur un grand écran par exemple, le portable reste allumé. On va donc inévitablement être distrait dès qu’un texto arrive. On sait très bien qu’on ne pas pouvoir s’empêcher de regarder.

La salle de cinéma est le seul endroit où on est encore concentré sur un récit, sur une narration. Cela nous permet encore d’explorer différents points de vue. C’est très important. Comme le dit le personnage incarné par Léa Drucker : si chaque point de vue autre que le sien est vécu comme hostile, comment est-ce qu’on tient ensemble, comment est-ce qu’on fait en société ? Et ça c’est une question qui me préoccupe, bien sûr.

Dossier 137 © Fanny de Gouville // Modds

Cette question d’addiction numérique n’est abordée qu’en filigrane dans Dossier 137. Pourtant, l’impact sur le spectateur est très puissant, voire sans doute plus que si vous aviez choisir de faire de nos addictions au scrolling le centre névralgique du film.

Avec Gilles Marchand, nous avons voulu appuyer sur quelque chose ayant pris forme sur une simple intuition. Les vidéos de chats, dont Gilles est très friand d’ailleurs (rires), ça a commencé sur une intuition mais sans qu’on la théorise, sans qu’on se dise : « ah, ça c’est super, parce les gens vont comprendre la métaphore, la signification de ce qu’on a fait ».

Je pense qu’il faut aussi, en tant que réalisateur et scénariste, faire un peu confiance à son instinct, et ne pas essayer dans un film que tout ait une explication définie, une justification claire. Cela permet aussi d’autant plus aux spectateurs de s’en emparer d’un élément et, tout à coup, d’avoir un rapport très personnel à un détail du film.

On trouve toujours des éléments fantasmagoriques, voire même parfois irrationnels, dans vos films. Un peu comme une marque de fabrique. Ces notions sont néanmoins absentes de vos deux derniers films.

Pas tout à fait d’accord (rires). Dans La nuit du 12, ça reste pour moi fortement présent. Quand le personnage incarné par Bastien Bouillon fait les tours sur la piste en vélo de manière obsessionnelle, il y a pour moi quelque chose de très mental. Aussi par exemple quand les images des différents suspects se superposent à son propre visage.

Mais il est vrai que dans Dossier 137, c’est beaucoup moins présent. Ce n’est pas pour autant que j’abandonne complètement cette idée. D’ailleurs, on en parle parfois avec Gilles, en gardant bien à l’esprit qu’il faut faire attention de ne pas perdre complètement ça. Tout simplement parce c’est une manière d’aborder certains détails scénaristiques qui nous plaît beaucoup.

La nuit du 12 © Haut et Court

Vous avez grandi en Allemagne avant de partir à New York pour vos études de cinéma. Comment êtes-vous entré en contact avec culture cinématographique française ?

J’ai eu la grande chose de pouvoir passer, dans le cadre d’un échange, par l’Université de New York, où je suis resté deux ans dans un département de cinéma. C’est là que j’ai réalisé mes premiers courts-métrages. Je suis ensuite revenu en France et j’ai fait l’IDHEC (ndlr : Institut des hautes études cinématographiques), aujourd’hui devenu la Fémis. C’est vraiment à ce moment-là que j’ai pu m’y plonger complètement.

Comment êtes-vous entré en contact avec le thriller, votre genre de prédilection ?

Mon intérêt pour le thriller à de manière très claire débuté avec le cinéma d’Alfred Hitchcock. A l’époque, je ne connaissais personne dans le cinéma. C’était un milieu qui me semblait inaccessible, voire même incompréhensible. Mais j’avais vraiment une curiosité très forte sur le comment de la fabrication d’un film. Le détonateur fut pour moi la lecture du livre Hitchcock/Truffaut.

J’ai vraiment appris énormément de choses en lisant ces entretiens et en regardant en parallèle les films d’Hitchcock : comment on joue à l’écran sur le suspense, la tension, avec des rebondissements inattendus ou des personnages un peu troubles. C’est totalement fascinant.

Dans un deuxième temps, les réalisateurs français sur lesquels j’ai jeté mon dévolu furent, bien plus que ceux de La Nouvelle Vague, Henri-Georges Clouzot et Jean-Pierre Melville. J’ai vraiment développé une impédance pour eux, particulièrement Melville, avec son sens aigu du détail, le fait de ne pas avoir peur de « déplier des choses » pour montrer avec une grande précision, par exemple, la préparation d’un braquage dans Le Cercle Rouge.

Ce genre de minutie, à la fois très visuelle et souvent dénuée de dialogues, reste plus qu’une figure de style, un vrai modèle dont on peut s’inspirer. Le cinéma, c’est d’abord et avant tout un art visuel, d’où mon grand intérêt pour ces réalisateurs.

En regardant la liste de vos films de chevet, on y trouve justement Le Salaire de la Peur et L’Armée des Ombres, mais aussi Vertigo d’Alfred Hitchcock, Playtime de Jacques Tati ou Chinatown de Roman Polanski. Tous ces films ont en un point commun d’être des œuvres très complexes à mettre en place, carrément pharaoniques pour certaines, faites par des maniaques du détail parfois devenus obsédés par leur œuvre au-delà du raisonnable. Une attitude à la fois totalement fascinante et effrayante. Vous est-il arrivé d’avoir la crainte de vous perdre dans un projet, un peu comme le personnage incarné par Gene Hackman dans Conversation secrète ?

On sait que Melville, Clouzot et Hitchcock n’étaient pas des personnalités très agréables sur les tournages, ce qui ne les empêche pas d’être à juste titre considérés comme des génies du cinéma. Par chance, j’ai un caractère plus posé qu’eux. Ce qui m’intéresse en priorité quand je fais un film, c’est de le faire en parfaite collaboration avec tous les gens qui m’entourent sur un plateau. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas moi qui suis le capitaine à bord (rires).

Les projets pharaoniques que vous décrivez ne m’attirent pas spécialement. Aussi parce que je pense qu’il est possible de faire de très belles choses avec des moyens raisonnables. La seule fois de ma carrière où je me suis approché d’une œuvre pharaonique, ce fut pour Le Moine. Parce que c’est un film d’époque, avec de très nombreux décors, des costumes, la reconstitution d’une procession impliquant 300 figurants. C’était très amusant à faire et en même temps, je sentais quand même aussi le côté paralysant du coût du film et, par effet domino, la pression qu’on se met par rapport au futur résultat du métrage au box-office.

Mais si jamais un projet auquel je tiens beaucoup devrait exiger un budget élevé, je ne l’exclus pas du tout, même si je ne vais pas naturellement vers cela, et bien qu’il y ait effectivement quelque de fascinant dans ces histoires de tournages pharaoniques…

Dossier 137 de Dominik Moll, avec Léa Drucker, Théo Navarro-Mussy, Théo Costa-Marini, Valentin Campagne, Guslagie Malanda, Stanislas Merhar, France, 1h55. Actuellement sur les écrans.

George Lazenby, 29 juin 2013

A la fin du mois de juin 2013, George Lazenby était de retour au Piz Gloria, point culminant du Schilthorn, lieu de tournage principal du film Au Service Secret de Sa Majesté, afin d’inaugurer le nouvel espace dédié à l’agent 007. L’occasion idéale pour tenter échanger avec un comédien jamais avare d’anecdotes piquantes.

George Lazenby et la James Bond Girl Sylvana Henriques, également conviée au Schilthorn lors de l’inauguration du nouvel espace consacré à l’agent 007.

Vous avez décroché en 1968 le rôle le plus convoité au cinéma depuis celui de Scarlett O’Hara. Comment avez-vous réagi quand la production vous a informée que vous seriez le prochain 007 ?

Ce fut avant tout un soulagement. Il faut savoir que j’ai dû faire maints « screen tests » et que la décision était sans arrêt repoussée. Cela a pris des mois. Albert R. Broccoli et Harry Salzman, les deux producteurs de la franchise, voulaient voir un maximum de comédiens afin d’être sûr de leur choix. C’est finalement mes talents en arts martiaux, qui ont valu au pauvre Yuri Borienko, un des « vilains » du film, un nez cassé et à moi mon engagement (rires)

Votre première scène à l’écran a été tournée ici au Piz Gloria. Dans cette dernière, vous débarquez en kilt, sous la couverture d’un généalogiste, dans cet endroit divin peuplé pour l’occasion de douze James Bond Girls. Des superbes filles très clairement attirées par 007, et dont ce dernier tire agréablement profit. En a-t-il été de même pour George Lazenby ?

Absolument ! (rires) Mürren est un petit village isolé et l’équipe est restée sur place pendant plus de 6 mois. Cela créer des liens qui, parfois, pour ne pas dire souvent, deviennent concrets…

Parlez-nous un peu de Angela Scoular, la principale « pensionnaire » du Piz Gloria, avec qui l’alchimie à l’écran fonctionne à merveille…

Vous voulez savoir si j’ai couché avec elle ? Non, elle ne faisait pas partie de mon tableau de chasse (rires). Mais c’est vrai que notre entente était formidable. Il y a d’ailleurs une anecdote très amusante à propos de la scène où Angela inscrit le numéro de sa chambre sur le haut de ma cuisse. Lors de la première prise, l’équipe avait cuit une énorme saucisse de Frankfort et l’avait attachée à l’intérieur de mon kilt. Evidemment, quand Angela a avancé sa main, elle s’est mise à hurler et nous étions tous morts de rire. Angela Scoular fut une magnifique comédienne. Dommage que sa vie ait fini de manière aussi tragique (n.d.l.r. : Angela Scoular s’est suicidée en 2011)

-A l’époque, vous pensiez que Bond aurait eu avantage à être plus en phase avec son temps, notamment avec l’appui de musique pop…

…Et j’avais tort à 100%. Vous savez en ce temps-là, j’étais sous l’influence de la culture hippie. Easy Rider est sorti en même temps que Au Service Secret de Sa Majesté et il me paraissait clair que Bond ne survivrait pas plus à l’époque que nous vivions qu’au départ de Sean Connery. Pour moi, Louis Armstrong, qui interprète la chanson principale du film, venait d’un autre temps. Aujourd’hui, We Have All the Time in the World fait partie de la mémoire collective, et le score composé par John Barry pour le film est considéré comme le chef d’œuvre de la saga. J’ai commis beaucoup d’erreurs de jugement à cette période, dont la principale fut très clairement de ne pas accepter de faire un deuxième James Bond…

A la fin de la scène prégénérique du film, pour prononcez la phrase « Ca n’était jamais arrivé à l’autre », allusion directe en guise de clin d’œil à Sean Connery. Etait-ce votre idée ?

Oui, cette réplique vient effectivement de moi. Je l’ai prononcée lors du tournage de la scène alors que le plan était terminé et en pensant que cette dernière serait évidemment coupée. Mais Peter Hunt, le réalisateur, a trouvé l’idée plutôt amusante. Du coup, on a refait la prise en modifiant quelques détails et cette phrase désormais culte est restée dans le montage final du film.

Une légende circule depuis 30 ans maintenant. A savoir que Kevin McClory, le producteur du film Jamais Plus Jamais, qui avait fait grand bruit à l’époque car ce James Bond était en concurrence directe avec les productions d’Albert R. Broccoli, vous aurait proposé de reprendre le rôle…

C’est tout à fait exact. J’ai été approché de manière très concrète par McClory à l’époque. Mais il faut savoir que l’homme avait également proposé le rôle à Sean Connery, tout en pensant que ce dernier refuserait. A la surprise générale, Sean a donné son accord et, du même coup, ma « candidature » est tombée à l’eau. Il faut définitivement croire que j’étais fait que pour incarner 007 une seule et unique fois…

© photo : Julien Comelli

Sydney Pollack, août 2002

Né le 1er juillet 1934, Sydney Pollack est un homme de cinéma qui porte plusieurs casquettes. Réalisateur accompli, il est également acteur et producteur. Il a signé, durant les 30 dernières années, un nombre hallucinant de films populaires, parmi lesquels Yakuza, Jeremiah Johnson, Out of Africa, Tootsie ou encore On achève bien les Chevaux, qui resteront à coup sûr dans l’histoire. C’est avec un beaucoup d’humour qu’il s’explique sur sa profession et la situation du cinéma actuel.

Sydney Pollack a reçu un Léopard d’honneur pour l’ensemble de sa carrière lors la 55e édition du Festival du Film de Locarno.

Votre cinéma est très hétéroclite. Êtes-vous une personne qui s’intéresse à tout dans la vie ?

Je suis effectivement passionné par beaucoup de choses, mais la diversité de mes sujets dépend surtout du fait que ma première préoccupation est de divertir les gens et non de faire passer un message. C’est merveilleux d’arriver à faire passer quelque chose, mais ce n’est en aucun cas mon but premier. Je fais des films, et peut-être parfois du cinéma…

Quelles conséquences a eu le 11 septembre sur le cinéma américain ?

Beaucoup moins que ce que les gens pensent. Il y a eu une courte période de panique juste après les événements, durant laquelle tout le monde s’est senti concerné par la catastrophe. A Hollywood, on s’est demandé s’il fallait continuer à montrer des terroristes à l’écran. Certains films ont d’ailleurs vu leur date de sortie ajournée. Et comme vous le voyez les choses se sont tassées très vite, et l’industrie du cinéma est très rapidement redevenue ce qu’elle était avant : l’image de marque d’une Amérique propre sur elle. Personnellement je ne sais pas ce qui est juste comme attitude. On dit que l’image de l’Amérique que Hollywood propage à travers le monde a eu une influence directe sur les événements du 11 septembre. Personnellement je ne sais pas si la fiction a autant d’impact que cela… Mais il est sûr que le 11 septembre a marqué la fin de quelque chose. C’est la première fois que ma patrie s’est rendue compte à quel point elle est vulnérable.  L’Amérique a vécu une courte période dorée, entre la fin de la guerre froide et les attaque du 11 septembre. Il est temps de nous rendre compte que nous ne sommes pas seuls et que nous ne pouvons plus continuer de faire comme si… Mais je ne suis pas spécialiste et ma fonction n’est pas d’expliquer le pourquoi du comment. Je pourrais au mieux en faire un film, mais cette tragique journée ne m’inspire pas outre mesure. Il a fallu aux américains 10 ans pour réaliser un film valable sur la guerre du Vietnam ; je ne pense donc pas qu’il soit possible de faire quelque chose d’intéressant sur cet événement pour l’instant.

Comment fait un réalisateur pour choisir le format de son film ?

Jusqu’en 1980, je tournais tout mes films en CinemaScope qui est, à mon sens, le meilleur format existant. Il vous permet par sa largeur de filmer d’une manière incomparable tout ce que vous voulez. Et puis la vidéo est entrée dans les mœurs, et j’ai commencé à réfléchir au fait que bon nombre de spectateurs allaient découvrir mes films dans leur salon. J’ai donc pris la décision d’arrêter de tourner mes films en Scope, pour que d’une part on ne puisse pas les recadrer, et que d’autre part le téléspectateur puisse découvrir mes films de la manière la plus optimale possible. Je me suis donc rabattu sur un format plus petit, et qui passe mieux à la télévision. Mais il est vrai qu’un film comme Out of Africa  aurait mérité le CinemaScope…

Vous avez réalisé le remake du film Sabrina de Billy Wilder. Quelles sont les motivations pour un grand réalisateur tel que vous pour accepter un tel projet ?

Oh mon dieu… Voilà la question que je redoute le plus (rires)! La première chose que j’ai fait lorsque le studio Paramount m’a appelé pour me dire qu’ils voulaient produire un remake de Sabrina a été de leur demander s’ils n’étaient pas devenus fous ! Puis Harrison Ford, qui avait déjà signé pour le film, m’a appelé personnellement, car il tenait beaucoup à ce que j’assume la réalisation. Comme je rêvais de travailler avec lui, c’était une bonne occasion. Et le producteur Scott Rubin, avec qui j’avais déjà travaillé sur La Firme, a beaucoup insisté. J’ai donc commencé à réfléchir, dans le fait que Sabrina n’est pas le meilleur film de Billy Wilder, et que je n’avais rien à perdre. L’original est très ancré dans les années 50, et le scénario de va pas très loin. C’était donc un bon challenge que de moderniser cette « love story », et de l’adapter à notre époque. J’ai même appelé Billy Wilder, qui est un ami, pour savoir ce qu’il en pensait. Comme à son habitude, il a d’abord ronchonné. Puis il a fini par lire le nouveau script, et il lui a apporté quelques modifications. Le film a donc fini par se faire. 5 ans plus tard, je me rend compte que c’était une erreur monumentale. Sabrina  restera toujours dans l’esprit des gens a l’image d’Audrey Hepburn et de Humphrey Bogart. Et même si ce n’est pas le meilleur film de Billy Wilder, il était définitivement trop populaire pour qu’on ose en faire un remake. Mais ce n’est pas une règle absolue : j’ai produit il y a 2 ans Le Talentueux Mr. Ripley, qui est un remake de Plein Soleil de René Clément. Et même si l’original est fantastique, les critiques ont encensé le film de Anthony Mighella, qui est effectivement à mon sens, meilleur que l’original… Mais pour Sabrina, je ne puis dire qu’une chose :  Mea Culpa…

Pensez-vous que le cinéma actuel soit plus commercial que celui que vous avez connu à vos débuts ?

Non, sincèrement je ne pense pas. En Amérique, on a de tous temps voulu faire du cinéma dans l’unique but de faire de l’argent, contrairement à l’Europe. Aux Etats-Unis se sont les même personnes qui fabriquent des films que ceux qui font des soda, croyez-moi ! Faire de l’argent : c’est l’unique règle là-bas. Et je ne pense pas au fond que ce soit une mauvaise chose. A chaque fois que j’ai fait un film, j’étais conscient que si il ne faisait pas un sou avec, je n’aurais jamais de crédit pour en faire un autre. C’était pour moi un challenge et une motivation que de faire de bons films. Si je suis encore là c’est simplement parce que j’ai eu la chance de faire plus de films qui ont rapportés de l’argent que de films qui en ont perdus (rires) ! Pour moi le succès d’un film ne s’arrête pas uniquement au premier week-end d’exploitation ou de la première semaine, mais plutôt sur la longévité d’un succès avec les années. Il est vrai que sur ce point de vue j’ai eu pas mal de chance avec des films tels que Nos Plus Belles Années, Tootsie ou Out of Africa, qui sont sans cesse rediffusés à la télévision. Et pour moi c’est ça la vrai récompense de mon travail.

Est-il difficile d’être acteur soi-même quand on est en premier lieu réalisateur ?

En fait, je fais l’acteur dans l’unique but d’espionner d’autres metteurs en scène (rires) ! Non plus sérieusement, je le fais plus pour rendre service que par conviction personnelle, car mon rôle principal reste celui de metteur en scène. Mais il est très intéressant de voir de quelle manière travaillent d’autres metteur en scène.  Kubrick par exemple savait exactement ce qu’il faisait. Il vous donnait tellement d’indications qu’il ne vous était pas possible d’improviser quoi que ce soit. Avec Woody Allen, c’est exactement l’inverse. Il ne vous dit rien (même pas bonjour !) et vous laisse improviser des scènes entières. Au résultat, cela donne des films spontanés, donc originaux. Mais en aucun cas mon travail d’acteur ne m’influence dans mes propres mise en scènes. Je ne me dirai jamais : « Qu’est ce que Kubrick aurait fait dans une telle situation ? ».

Vous êtes également producteur, que préférez-vous : réaliser ou produire ?

Réaliser, sans l’ombre d’une hésitation. Je suis devenu producteur car je suis un metteur en scène paresseux (rires). Je plaisante bien sûr… Il y a une quinzaine d’années, j’avais tellement de projets qui attendaient sur mon bureau que je me suis rendu compte que je n’arriverais jamais à tous les réaliser. Et le meilleur moyen que j’ai trouvé pour que la majeure partie de ces projets aboutissent était de les produire. Ca c’est fait comme ça… J’en suis à 26 films produits, et je vais continuer.

© photo : Pardo