5 SEPTEMBRE (SEPTEMBER 5, Tim Fehlbaum, 2024)

Le 5 septembre 1972, lors des Jeux Olympiques d’été de Munich, des membres de l’organisation terroriste Septembre Noir prennent en otages les athlètes israéliens au cœur du village olympique. Présente sur place pour couvrir la manifestation sportive, une équipe de la chaine ABC Sport va tenter de suivre, minute après minutes, les événements tragiques se déroulant sous leur yeux…

Le sujet avait déjà été traité par trois fois sous des angles différents. D’abord via un très honorable téléfilm porté par William Holden et Franco Nero (Les 21 heures de Munich, William A. Graham, 1976), ensuite à travers un excellent documentaire britannique (Un jour en septembre, Kevin Macdonald, 1999), enfin à travers un thriller sec axé sur les répercussions de la prise d’otage (Munich, Steven Spielberg, 2005).

Le réalisateur d’origine bâloise Tim Fehlbaum (cocorico !) se décide pour une approche toute autre avec une reconstitution à la virgule près de cette dramatique journée planqué dans la régie de la télévision américaine couvrant les JO.

L’idée est audacieuse, le résultat à la hauteur des espérances. Sans jamais quitter sa micro-équipe, ne proposant de voir les aller et venue des journalistes – obligés de jouer de diverses supercheries pour couvrir le drame en direct – que via des moniteurs, 5 septembre est aussi une reconstitution minutieuse d’un studio de télévision mobile du début des années 1970, témoignant des contraintes techniques de l’époque, qui limite évidemment les moyens d’action des journalistes.

Enfin, le film de Fehlbaum met admirablement bien en exergue le dilemme des membres d’une équipe en lutte avec leur intégrité de journaliste et leur conscience personnelle. Faut-il ou non suivre à tout prix les événement tragiques se déroulant sur leurs yeux afin de remplir la sacro-sainte charte du devoir d’information du public ? A quel moment cette mission bascule-t-elle dans la quête inconsciente de sensationnalisme ?

Les exemples de films reconstituant des moments ayant marqué l’histoire de la télévision sont aussi rares que réussis (Frost/Nixon de Ron Howard, Saturday Night de Jason Reitman), mais jamais un n’avait réussi à atteindre une telle tension anxiogène.

Soutenu par un casting cinq étoiles (Peter Sarsgaard, John Magero, Ben Chaplin, Zinedine Soualem), impeccables dans leurs rôles respectifs, 5 septembre confirme également de manière définitive la comédienne allemande Leone Benesch (La salle des profs, En première ligne) comme l’actrice la plus prometteuse de sa génération.

Ayant fait un passage plus que discret dans nos salles obscures au printemps dernier, 5 septembre s’avère effectivement être, comme le slogan publicitaire de l’affiche l’avance, le meilleur thriller de l’année. Quand bien même ce dernier se déroule-t-il dans un espace ultra-confiné et ne s’appuyant sur d’autres effets dramatiques que les événements auxquels les protagonistes assistent en même temps que le spectateur. Redoutable d’efficacité.

Où voir le film ?

5 septembre est disponible en Blu-ray et DVD chez Paramount (distribution Suisse : Rainbow Home Entertainment).

LOVE & MERCY (Bill Pohlad, 2015)

Depuis le décès de Brian Wilson, les hommages se suivent et ont, à quelques exceptions près, tous le même goût amère de médiocrité. A croire que les médias institutionalisés sont tellement obnubilés à nous seriner à l’antenne, seconde après seconde, les mots « géopolitique » et « paradigme », qu’ils en auraient carrément oubliés qu’un hommage rendu à personne aussi importante ne doit pas être pris à la légère. Encore moins être confié à un stagiaire même si, de nos jours, on doit facilement trouver un bénévole au sein d’une rédaction prestigieuse plus impliqué par son travail qu’un haut ponte du journalisme boulonné depuis trop d’années.

Toutes les âneries possibles et imaginables ont été entendues ces derniers jours, alors profitons au passage pour rectifier le tir : non, les surfeurs californiens n’écoutaient pas les Beach Boys, mais Dick Dale. Oui, Dennis Wilson, frère cadet de Brian, a bien côtoyé sur quelques semaines (et encore de loin) Charles Manson. Mais cela mérite-t-il d’être relevé lors d’un hommage à la tête pensante de Beach Boys ? La réponse coule de source…

Sorti durant l’été 2015 dans une indifférence quasi-générale, Love & Mercy parvenait assez admirablement à se distancer du biopic classique. Ciblé sur deux périodes charnières de la vie de Brian Wilson (d’un côté la quintessence de la créativité jusqu’au début du doute, de l’autre l’emprise qu’a pu exercer Eugene Landy sur Brian Wilson durant une décennie), le film de Bill Pohlad tord le cou aux sempiternels passages obligés, qui ponctuent généralement ce genre de métrages.

Plutôt que d’utiliser un seul et même comédien pour incarner Wilson à vingt ans d’écart, exercice souvent peu concluant, Pohlad prend le parti de choisir deux acteurs n’ayant qui plus est physiquement rien en commun. Plus étonnant encore : ni l’un, ni l’autre ne ressemble de près ou de loin à Brian Wilson.

Si l’astuce matche à 200% avec Paul Dano, incroyable de vérité en Wilson jeune adulte conscient d’avoir produit un des meilleurs albums pop de l’histoire avec Pet Sounds, mais sur le point d’être fauché en plein vol par une ultra-sensibilité ne l’ayant pas préparé au relatif échec commercial de l’album, on est beaucoup plus dubitatif quant à l’incarnation de John Cusack sur les années d’errance psychique d’un génie déchu, alors sous l’emprise malsaine d’un pseudo psychanalyste improvisé gourou (Paul Giamatti, exceptionnel comme toujours).

Ainsi, Paul Dano est Brian Wilson, tandis que John Cusack reste un excellent acteur incarnant du mieux qu’il peut Wilson. La prestation de Dano, renchérie par une mise en image au diapason des sessions d’enregistrements de Pet Sounds, est tellement criante de vérité qu’on en oublie par instant que nous sommes devant une fiction.

Même si pas parfait, Love & Mercy a l’immense qualité de mettre le spectateur en immersion dans le quotidien d’un génie malmené par sa sensibilité maladive, assujetti d’une consommation exponentielle de substances psychotropes en guise de décompensation temporaire avant une inévitable implosion.

Le métrage est à contrario suffisamment malin pour palper toutes les nuances faussement simplistes qui traverse l’œuvre de Brian Wilson : la perte incontrôlable de l’innocence passé l’adolescence, l’obligation tacite de notre culture occidentale à faire taire l’enfant qui est en nous une fois devenu adulte, l’amour éternel que l’on aimerait faire rimer avec l’idée d’un été sans fin, inaccessible à moins d’être dans la tourmente d’un perpétuel mouvement…

Où voir le film ?

Sorti en Blu-ray et DVD chez ARP en 2015, Love & Mercy est épuisé depuis quelques années déjà. Il se trouve néanmoins facilement et à un prix abordable sur les sites de revente habituels.

La bande son accompagnant votre lecture

L’album Pet Sounds (1966), incontestablement le chef d’œuvre de Brian Wilson :

Le projet SMiLE, assurément le plus célèbre des disques inachevés de l’histoire de la musique, laissé à l’abandon en 1967 et terminé par Brian Wilson en 2003 :

UN HOMME EST PASSE (BAD DAY AT BLACK ROCK, John Sturges, 1955)

Pour la première fois depuis des années, le train s’est arrêté à Black Rock. Un homme en descend. Très rapidement, le curieux personnage, répondant au nom de John Macreedy (Spencer Tracy), éveille l’attention des rares habitants de cette bourgade perdue en plein désert. Qui est ce sexagénaire manchot ? Que vient-il faire à Black Rock ? Et surtout, pourquoi les résidents semblent-t-ils à ce point perturbé par sa venue ?

Néo-western magnétique, Bad Day at Black Rock fait partie de ces films de prime abord insignifiants. Il reste pourtant l’un des plus vibrants ouvrages produits par Hollywood dans années 1950.

Proposée dans un premier temps à Robert Wise, la mise en scène de Un homme est passé atterrit dans les mains de John Sturges, alors sous contrat avec la Metro-Goldwyn-Mayer. Il n’est sans doute pas exagéré d’affirmer que ce « petit film » forgera la future carrière de Sturges, tardive mais superbe, qui donnera naissance à quelques-uns des plus beaux fleurons du cinéma populaire hollywoodien, entre la fin des années 1950 et le début des seventies.

Bad Day at Black Rock est également un métrage que Sergio Leone devait avoir sur sa table de chevet. Unité de lieu et de temps, action resserrée au maximum, le tout filmé dans un majestueux CinemaScope, atteste de l’influence que le présent long métrage a sans doute eu sur Leone. L’énigmatique personnage au centre de l’intrigue, faisant irruption dans un microcosme malsain afin d’y mettre bon ordre, a quant à lui certainement inspiré la dynamique de ses deux premiers westerns (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus).

Mettant en exergue le problème des émigrés nippo-américains malmenés aux Etats-Unis après 1941, Bad Day at Black Rock parvient mieux que n’importe quel pamphlet frontal à sensibiliser le public à un état de fait dramatique bien qu’encore méconnu de nos jours en provoquant un sentiment de malaise évident. Une bobine précieuse à la fois dense, simple, resserrée et efficace, qui reste encore aujourd’hui très moderne dans sa forme. A (re)découvrir de toute urgence donc.

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Jadis, Bad Day at Black Rock fut disponible en DVD. Depuis, il a été réédité en Blu-ray chez Warner Archive, mais sans la moindre option française. Un disque homologue, plus ou moins légal, est apparu en Espagne et, ô miracle, toutes les options françaises y sont disponibles et la copie est aussi rutilante qu’outre-Atlantique.

LE TRIO INFERNAL (Francis Girod, 1974)

Marseille, début des années 1920 : Philomène Schmidt (Romy Schneider), jeune allemande sans travail ni permis de séjour, devient la maîtresse de Georges Sarret (Michel Piccoli), l’avocat-conseil le plus en vue de la ville. Afin que la jeune femme puisse obtenir le droit de rester en France, Sarret lui trouve un mari, Villette (Jean Rigaux), qui meurt un mois après le mariage de mort naturelle. Philomène partage l’héritage avec l’avocat, qui en profite pour faire venir d’Allemagne Catherine (Mascha Gonska), la sœur de Philomène, et en fait également sa maîtresse. Fort de cette première expérience profitable, Sarret imagine alors de monter des escroqueries à l’assurance-vie…

Ce rôle, c’est le suicide de Sissi ! C’est avec cette simple phrase que Francis Girod, dont Le trio infernal était le premier long métrage, réussit à convaincre Romy Schneider d’accepter le rôle de Philomène Schmidt, femme calculatrice n’ayant aucun scrupule à commettre, sous la « supervision » de George Sarret et avec la complicité passive de sa sœur, les pires atrocités dans l’unique but de s’enrichir.

Parfaitement amoraux, Michel Piccoli et Romy Schneider tenaient là assurément les personnages les plus radicaux de leur carrière, le tout dans un film au ton désinvolte, renforçant le côté totalement détaché des protagonistes face à leurs actes. N’ayant aucun mal à accepter de se mettre en danger, le couple à l’écran, dont il s’agissait là de la quatrième collaboration, illumine de son machiavélisme cette effroyable histoire, largement inspirée de faits authentiques.

Bien conscient qu’il tenait là une histoire sujette à provoquer le scandale, Francis Girod n’écarte aucunement la pire abomination commise par l’infâme trio : la dissolution dans l’acide sulfurique d’un couple encombrant, dont il devenait impératif de se débarrasser. Paraissant interminable, la très pénible séquence, pendant laquelle le trio, muni de seaux et de masques à gaz, fait une chaîne afin éliminer les restes décomposés des corps, peut sans autre rivaliser avec n’importe quel métrage anglo-saxon horrifique de la même période.

L’évocation de ladite scène-choc, qui aura d’ailleurs suffi à assurer la promotion du film à travers le monde à l’époque, démontre une chose : aussi outrancière soit-elle, une séquence peut toujours se justifier quand elle se révèle indispensable à l’intensité dramatique d’une œuvre.

Grande oubliée de l’histoire du cinéma, la comédienne Mascha Gonska, dont le personnage est le seul élément du trio à avoir conservé une once d’humanité, est évidemment indispensable à l’équilibre du film. Une comédienne qui, malgré une filmographie foisonnante durant une décennie, stoppera sa carrière à l’aube des années 1980.

Subtil film de genre évitant à chaque instant le racolage facile, Le trio infernal installait Francis Girod dans la cour des grands dès son premier long métrage. Une œuvre aussi éprouvante qu’atypique, mais totalement indispensable à l’histoire de cinéma.

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Disponible uniquement en DVD dans nos contrées. Pour une version HD, il faudra se tourner du côté de l’Allemagne pour tenter dénicher (le titre est épuisé mais encore trouvable sur les sites de revente) un très beau digibook Blu-ray+DVD contenant, en plus du film nanti d’une piste française, un livret richement illustré.