IN BED WITH MADONNA (MADONNA: TRUTH OR DARE, Alek Keshishian, 1991)

Lorsque le film In Bed with Madonna débarque sur les écrans en mai 1991, tout le monde s’attend à voir ce qui a été annoncé. A savoir une capture filmique de la tournée Blonde Ambition Tour, show pharaonique de la superstar, alors au top de sa carrière artistique.

On se souvient d’ailleurs très bien des spectateurs déconcertés, voire carrément mécontents, venant à la caisse des cinémas pendant la projection pour demander si on ne serait pas en train de leur diffuser le mauvais film. Considéré par beaucoup comme une « tromperie sur marchandise », notamment à cause de son titre européen mensonger, In Bed with Madonna ne laissa que peu de souvenirs autres que mitigés dans les mémoires.

En cause sans doute également, l’exploitation du film majoritairement en français dans nos salles, qui faisait carrément passer cette curiosité pour un véritable OVNI puisque, sauf erreur, il s’agit là de la seule tentative de doublage réel d’un documentaire musical. Comprendre : une VF identique celle d’un film de fiction et non, comme traditionnellement pour ce genre de produit, réalisé à l’aide d’une voix-off venant doubler, façon commentaire, le propos original.

Et il faut bien admettre que d’entendre Madonna doublée dans la langue de Molière par Maïk Darah, voix ultra-identifiable attitrée, entre autres, de Whoopi Goldberg et Courteney Cox, ça pique méchamment les oreilles ! (La VHS vendue quelque mois plus tard était d’ailleurs la première du marché à proposer, sur la même K7, le film en VF suivi de sa VOst).

Se risquer à revoir aujourd’hui Truth or Dare représentait donc un pari pas forcément risqué, mais au minimum hasardeux. Passé le cap d’une trentaine de secondes en VF, histoire de se bidonner un bon coup, le film prend une tout autre dimension quant visionné en VO et en gardant bien en tête qu’il s’agit d’un documentaire sur une tournée et non un simple concert filmé.

Stupeur donc de découvrir un film bon. Très bon même. Devenant presque accessoires, les très brève parties live (en couleurs) laisse place à une œuvre tournée dans un noir/blanc digne d’un film noir de la grande époque. Une réalisation de très bonne facture d’Alek Keshishian, jusque-là réalisateur de vidéoclips, propulsé metteur en scène du doc après le désistement d’un certain David Fincher.

L’ambivalence de l’ensemble, à la fois très contrôlé par Madonna, productrice du film, et de sa volonté de se montrer sans fard, très pro et proche de son personnel (comprendre : ses indispensables danseurs et son équipe technique totalement dévouée) tranche lucidement avec une provocation savamment orchestrée (Linda Lovelace, largement détrônée dans une séquence devenue culte, a dû en faire des crises de jalousie).

Au final, In Bed with Madonna pourrait presque passer pour une œuvre de fiction, tant tout ce qu’on y voit semble irréel. Que ce soit d’assister une séance de drague lourdingue de Madonna envers un Antonio Banderas qui ne sait plus comment se débarrasser de la superstar, pour le coup positionnée dans l’attitude d’une midinette adolescente, ou la manière dont elle clache Kevin Costner, présent car invité au concert mais peu convaincu, dès qu’il a tourné les talons.

Film unique dans l’histoire du cinéma, In Bed with Madonna mérite donc une relecture avec l’œil de 2025. Un œil habitué depuis bien malgré lui à toute forme d’intrusion voyeuriste orchestrée de l’intimité d’une personnalité.

Où voir le film ?

Disponible en combo Blu-ray+DVD+livret chez Bubbel Pop’. Contrairement à Recherche Susan désespérément, paru il y a quelques mois chez le même nouvel éditeur, le présent film est disponible pour un prix plus raisonnable, car vendu sans fioritures encombrantes.

Quatre longues interviews réalisées pour cette édition forment les bonus. Entre l’intervenant à côté de la plaque, celui qui n’a rien à dire et un qui s’écoute parler, on retiendra le discours d’Olivier Cachin. Très à l’aise, connaissant son sujet sur le bout des doigts et passionnant dans son exposé, l’ancien présentateur de RapLine est la vraie plus-value de ces suppléments.

Les personnes désireuses de (re)voir le Blonde Ambition Tour sont invités à se rendre sur Youtube, où il est possible de trouver, sans grande difficultés, des versions restaurées des deux laserdics parus respectivement à l’époque en France et au Japon. Donc avec deux captures distinctes du concert. De quoi plonger complètement dans ce spectacle, qui reste assurément la meilleure représentation scénique de la Madonne.

LOVE & MERCY (Bill Pohlad, 2015)

Depuis le décès de Brian Wilson, les hommages se suivent et ont, à quelques exceptions près, tous le même goût amère de médiocrité. A croire que les médias institutionalisés sont tellement obnubilés à nous seriner à l’antenne, seconde après seconde, les mots « géopolitique » et « paradigme », qu’ils en auraient carrément oubliés qu’un hommage rendu à personne aussi importante ne doit pas être pris à la légère. Encore moins être confié à un stagiaire même si, de nos jours, on doit facilement trouver un bénévole au sein d’une rédaction prestigieuse plus impliqué par son travail qu’un haut ponte du journalisme boulonné depuis trop d’années.

Toutes les âneries possibles et imaginables ont été entendues ces derniers jours, alors profitons au passage pour rectifier le tir : non, les surfeurs californiens n’écoutaient pas les Beach Boys, mais Dick Dale. Oui, Dennis Wilson, frère cadet de Brian, a bien côtoyé sur quelques semaines (et encore de loin) Charles Manson. Mais cela mérite-t-il d’être relevé lors d’un hommage à la tête pensante de Beach Boys ? La réponse coule de source…

Sorti durant l’été 2015 dans une indifférence quasi-générale, Love & Mercy parvenait assez admirablement à se distancer du biopic classique. Ciblé sur deux périodes charnières de la vie de Brian Wilson (d’un côté la quintessence de la créativité jusqu’au début du doute, de l’autre l’emprise qu’a pu exercer Eugene Landy sur Brian Wilson durant une décennie), le film de Bill Pohlad tord le cou aux sempiternels passages obligés, qui ponctuent généralement ce genre de métrages.

Plutôt que d’utiliser un seul et même comédien pour incarner Wilson à vingt ans d’écart, exercice souvent peu concluant, Pohlad prend le parti de choisir deux acteurs n’ayant qui plus est physiquement rien en commun. Plus étonnant encore : ni l’un, ni l’autre ne ressemble de près ou de loin à Brian Wilson.

Si l’astuce matche à 200% avec Paul Dano, incroyable de vérité en Wilson jeune adulte conscient d’avoir produit un des meilleurs albums pop de l’histoire avec Pet Sounds, mais sur le point d’être fauché en plein vol par une ultra-sensibilité ne l’ayant pas préparé au relatif échec commercial de l’album, on est beaucoup plus dubitatif quant à l’incarnation de John Cusack sur les années d’errance psychique d’un génie déchu, alors sous l’emprise malsaine d’un pseudo psychanalyste improvisé gourou (Paul Giamatti, exceptionnel comme toujours).

Ainsi, Paul Dano est Brian Wilson, tandis que John Cusack reste un excellent acteur incarnant du mieux qu’il peut Wilson. La prestation de Dano, renchérie par une mise en image au diapason des sessions d’enregistrements de Pet Sounds, est tellement criante de vérité qu’on en oublie par instant que nous sommes devant une fiction.

Même si pas parfait, Love & Mercy a l’immense qualité de mettre le spectateur en immersion dans le quotidien d’un génie malmené par sa sensibilité maladive, assujetti d’une consommation exponentielle de substances psychotropes en guise de décompensation temporaire avant une inévitable implosion.

Le métrage est à contrario suffisamment malin pour palper toutes les nuances faussement simplistes qui traverse l’œuvre de Brian Wilson : la perte incontrôlable de l’innocence passé l’adolescence, l’obligation tacite de notre culture occidentale à faire taire l’enfant qui est en nous une fois devenu adulte, l’amour éternel que l’on aimerait faire rimer avec l’idée d’un été sans fin, inaccessible à moins d’être dans la tourmente d’un perpétuel mouvement…

Où voir le film ?

Sorti en Blu-ray et DVD chez ARP en 2015, Love & Mercy est épuisé depuis quelques années déjà. Il se trouve néanmoins facilement et à un prix abordable sur les sites de revente habituels.

La bande son accompagnant votre lecture

L’album Pet Sounds (1966), incontestablement le chef d’œuvre de Brian Wilson :

Le projet SMiLE, assurément le plus célèbre des disques inachevés de l’histoire de la musique, laissé à l’abandon en 1967 et terminé par Brian Wilson en 2003 :