
Bombardée en 1939 par les Allemands, Almeria, capitale de la province du même nom en Andalousie, est laissée à l’abandon par Franco jusqu’au jour où l’endroit devient un décor naturel prisé par Hollywood. David Lean y tournera quelques scènes de Lawrence d’Arabie, juste avant que Joseph L. Mankiewicz n’investisse les lieux pour Cléopâtre, sans doute le film le plus pharaonique, sans mauvais jeu de mots, de l’histoire de cinéma.
Passé ces deux mastodontes, la ville et sa région, en particulier le micro-désert de Tabernas, seront envahis par une multitude de co-productions européennes plus ou moins fauchées, ayant trouvé en ce décor naturel de quoi rendre leurs métrages clinquants. A tel point qu’une industrie locale se met en place afin d’accueillir tous les gens du métier, des réalisateurs aux comédiens en passant par les cascadeurs et autres figurants multi-usage, dans des hôtels grand luxe construits à la hâte. Ceci sans pour autant que cet endroit reculé ne soit facilement accessible autrement que via des routes cabossées.
Le début de l’année 1968 fut sans doute la plus intense de l’activité tumultueuse d’Almeria. Brigitte Bardot est obligée par contrat interposé de s’y rendre pour tourner Shalako, premier film tourné par Sean Connery après l’abandon du rôle de 007. La rencontre entre les deux stars est sensée devenir l’événement du siècle et la presse a bien vendu la soupe. C’était sans compter sur les aléas de la vie, Bardot ayant accepté de faire le film pour s’éloigner de Gunter Sachs, son mari peu impliqué dans leur relation, et sans imaginer la passion dévorante qu’elle vivrait à cette période avec Serge Gainsbourg.
Sur place, BB se console sur l’épaule bienveillante de Stephen Boyd, avec qui elle a tourné dix ans plus tôt, pactise avec Michèle Mercier, venue sur place tourner un western sous la caméra de son pote Robert Hossein, et jouera les rabatteuses pour sa secrétaire, alors placée sous le charme de Michael Caine.
Un illustre réalisateur français bien présent sur son tournage mais incapable de s’impliquer sur son film, des décors détruits par erreur faute à des ondes communes de talkie-walkie entre deux productions, un set sensé partir en fumée pour une scène finale apocalyptique d’un film finalement brûlé à la hâte sous les caméras furtive d’un autre, une jeune comédienne britannique venue enterrer son mariage avec un illustre compositeur sans se douter qu’elle rencontrera, quelques mois plus tard, un autre tout aussi talentueux noyant son malheur à Paris car abandonné par la plus belle femme du monde. Telles sont les histoires passionnantes qui se télescopent dans Almeria 68.
Grand spécialiste des anecdotes de tournage compilées dans de réguliers et agréables ouvrages, Philippe Lombard sort de sa zone de confort avec le présent volume. Portant ce projet en tête depuis longtemps, le très sympathique journaliste du Septième Art le concrétise enfin. Le moins que l’on puisse dire est que l’adjectif sur lequel l’ouvrage est vendu (« tarantinesque ») n’est pas usurpé.
Se dévorant en quelques heures, les quelques 240 pages du livre transporteront le lecteur au cœur d’un film imaginaire, qui s’intitulerait en toute logique Il était une fois à Almeria. A réserver toutefois, mais c’est une évidence, aux amoureux de cette période charnière que fut la fin des 60s pour le cinéma mondial.

Philippe Lombard « Almeria 68 – Des stars, du sable et des larmes » (Hugo Doc, 238 pages)