SANS RIEN SAVOIR D’ELLE (SENZA SAPERE NIENTE DI LEI, Luigi Comencini, 1969)

La mort d’une vieille femme, quelques heures avant le renouvellement de sa prime d’assurance vie, éveille les soupçons de Nanni Brà (Philippe Leroy), un avocat au service de la compagnie. Ses investigations vont l’amener à entrer en contact avec les membres de la famille dysfonctionnelle de la défunte et de se rapprocher de Cinzia (Paola Pitagora), la fille cadette, en rupture avec ses frères et sœurs…

Réalisateur impossible à ranger dans une case, ayant une filmographie certes hétéroclite mais très cohérente, Luigi Comencini reste, tout comme Dino Risi, un cinéaste essentiel mais dont l’aura n’arrivera jamais à rivaliser avec les maitres d’un néo-réalisme certes innovant, mais qui reste malgré tout très figé dans une époque. Exactement l’inverse donc de l’œuvres des deux cinéastes précités.

Sans rien savoir d’elle, tourné en 1969 entre deux films ayant plus marqués les esprits (Casanova, un adolescent à Venise et L’argent de la vielle) était passé jusqu’ici sous les radars francophones, le film n’ayant jamais été exploité en Hexagone.

Annoncé comme un polar fonctionnant selon les codes du giallo, porté par Philippe Leroy, comédien français ayant fait l’essentiel de sa carrière en Italie principalement dans le cinéma de genre, cette curiosité avait de quoi éveiller l’intérêt grandissant des aficionados de l’âge d’or du cinéma d’exploitation transalpin.

Un giallo réalisé par Luigi Comencini ? La chose aurait été trop simple. Si partant effectivement sur les codes du polar comme il s’en tournait des tonnes à la même époque en Italie, Sans rien savoir d’elle brouille rapidement les pistes pour se profiler comme un drame amoureux intense, ceci avant de bifurquer une nouvelle fois pour aborder les méandres de la psyché humaine, le tout avec une thématique en filigrane très moderne pour l’époque.

Habitué aux rôles musclés, Philippe Leroy trouve ici une nuance de jeu qu’on ne lui connaissait pas. Un peu comme Belmondo lorsqu’il abordait à une époque où son statut de star étaient déjà confirmé, des personnages faisant appel à ses émotions plutôt qu’à son physique (L’héritier de Philippe Labro, Le corps de mon ennemi d’Henri Verneuil).

Magnifié par une bande originale à la fois délicate et intense d’Ennio Morricone, qui est d’ailleurs pour beaucoup dans l’impact émotionnel de l’œuvre (et dont les deux principaux thèmes seront plagiés par leur auteur pour Sans mobile apparent de Philippe Labro et Harcèlement de Barry Levinson), Sans rien savoir d’elle réussi le pari très difficile de rester en équilibre malgré le carcan d’un genre très défini et les nombreuses influences qui ponctuent le métrage. Peut-être le film le plus étonnant de Luigi Comencini.

Où voir le film ?

Sans rien savoir d’elle est disponible en combo Blu-ray+DVD dans la collection Dolce Italia de l’éditeur Les Films du Camélia.

Restauré par la Cinémathèque de Bologne, la copie 4K utilisée pour cette édition affiche des couleurs chaudes, sans doute pas parfaitement en adéquation avec la photographie originale de Pasqaulino De Santis, mais qui siéent parfaitement avec l’ambiance automnale du métrage. A noter que cette édition HD est à l’heure actuelle la seule disponible à travers le globe.

Le film n’ayant jamais été doublé, seule une version originale sous-titrée est disponible. En bonus, on trouvera, en plus d’interviews récentes absolument passionnantes de Paolo Pitagora (qui partageait l’affiche avec Jacques Brel dans Les assassins de l’ordre de Marcel Carné), Francesca Comencini (qui s’exprime dans un français parfait) et Philippine Leroy-Beaulieu (la fille de Philippe Leroy), trois des premiers courts-métrages de Luigi Comencini parfaitement restaurés.

Une BO toute douce, qui est pour beaucoup dans l’impact émotionnel du film, pour se familiariser avec ce délicat objet filmique :

Dominik Moll, 17 novembre 2025

En tournée promotionnelle à l’occasion de la sortie de son dernier film Dossier 137, le réalisateur Dominik Moll a accepté d’échanger avec nous à propos de son rapport au cinéma, mais aussi de la manière très pertinente dont il parvient à aborder des thématiques sociétales sans jamais perdre de vue son intention première.

Vos deux derniers films, La nuit du 12 et Dossier 137, appartiennent à ce que l’on appelle de nos jours le thriller social. A savoir des fictions très ancrées dans notre époque et dans lesquelles un sous-texte politique se dessine en filigrane. Dans La nuit du 12, c’était le féminicide. L’action de Dossier 137 se déroule avec en toile de fond la crise des gilets jaunes. Est-il devenu essentiel d’avoir un sujet sociétal en toile de fond ou peut-on encore penser un long métrage comme un thriller, entre guillemets, « divertissant » ?

Lorsque je commence un projet de film, je ne me dis jamais « quel sujet sociétal je pourrais aborder ? ». Pour La nuit du 12 par exemple, je ne me suis pas dit « je veux raconter une enquête policière autour d’un féminicide ». Tout est parti d’un livre-enquête très documenté, écrit par Pauline Guéna, auteure qui avait passé un an en immersion à la PJ Versailles. L’enquête dont parle le film est une des nombreuses que l’on retrouve dans le bouquin.

Ce qui m’intéressait, c’était de raconter de quelle manière un enquêteur de la PJ peut être hanté par une affaire lorsqu’il n’arrive pas à la résoudre. L’enquête choisie démarre sur le meurtre d’une jeune femme. Donc effectivement, un féminicide. Et c’est assez rapidement, en discutant avec mon camarade d’écriture Gilles Marchand, avec qui je travaille depuis mes débuts, que nous nous sommes aperçus que les rapports hommes-femmes allaient indirectement être au cœur du film.

Comme le milieu de la PJ est encore très masculin, les choses ont évolué naturellement dans ce sens. C’était donc bien au départ l’idée de faire un film de genre centré sur un policier hanté par une affaire. Les thématiques sociétales se sont glissées peu à peu à l’intérieur du scénario.

Il est vrai que le film de genre a l’avantage de pouvoir raconter une histoire avec des codes précis, que les gens reconnaissent, qui les laisse dans une zone de confort. Y glisser sans artifice ou insistance des questionnements plus profonds est devenu pour moi quelque chose d’assez naturel.

J’ai souhaité aborder cette thématique, car je trouve qu’à l’heure actuelle, on a trop tendance à mettre l’accent sur le côté sociétal pour vendre un film. S’il devient nécessaire d’avancer un argument social ou politique pour vendre un film, ne serait-on pas face à une forme de marché de dupes ?

Je suis d’accord avec vous. Il faut d’abord être rattaché à quelque chose d’immédiatement identifiable. Quelque chose qu’on a envie de suivre. C’est seulement à partir de là, si le pari s’avère réussi, que l’on peut marier un genre avec des préoccupations ou des questionnements plus sociétaux. Des aspects qui bien évidemment me passionnent aussi, que ce soit en tant que citoyen ou en tant que réalisateur.

La nuit du 12 © Haut et Court

La nuit du 12, explorait l’aspect « cold case » du thriller, un peu comme David Fincher le faisait avec Zodiac. Dossier 137 aborde quant à lui le côté « seul contre tous », tel que l’explorait Sidney Lumet dans Serpico. J’ai le sentiment  que vous pourriez être très à l’aise avec un thriller purement paranoïaque…

N’oubliez pas que tous les grands thrillers paranoïaque entretiennent des liens étroits avec la politique (rires).

La nuit du 12 trouve indirectement son point d’ancrage dans quelque chose que l’on peut apparenter à un fait divers. Quelle a été l’impulsion de départ pour Dossier 137, qui trouve également son origine au cœur d’une histoire vraie ?

C’est l’institution de la police des polices qui m’intriguait. Donc là aussi, je ne suis pas dit « je veux faire un film qui parle de violences policières ou du rapport police-citoyen ». C’était d’abord, de mettre en lumière le fonctionnement de l’IGPN (ndlr : inspection générale de la police nationale)

En ayant discuté avec des policiers de différentes brigades, je voyais bien que les enquêtrices et les enquêteurs de l’IGPN ne sont pas très bien vus, qu’ils sont un peu considérés comme des traîtres. Et je voyais aussi, en lisant des articles consacrés à des affaires de violences policières, que l’IGPN était très critiquée.

Ce qui ressortait le plus était que des policiers qui enquêtent sur des policiers ne peuvent pas être impartiaux. Et très vite, je me suis dit qu’un enquêteur ou une enquêtrice qui est dans cette position très inconfortable, un peu entre deux feux, un peu critiqué des deux côtés, pouvait être un point de départ intéressant pour un personnage de fiction.

Est-ce que Léa Drucker était votre premier choix pour incarner le personnage principal de Dossier 137 ?

Je l’ai rapidement imaginée dans le rôle et ensuite, et je n’ai plus réussi à me la sortir de la tête. Au fil des semaines, c’est un peu devenu une écriture pour elle. Même quand j’écrivais des dialogues, j’entendais sa voix, ses intonations. Dès que la première version du scénario fut terminée, je me suis empressé de lui proposer et elle a tout de suite dit oui. J’en étais évidemment ravi, et j’en suis encore plus heureux aujourd’hui, maintenant que le film est sur les écrans.

Dossier 137 © Fanny de Gouville // Modds

Etes-vous conscient d’être un des rares cinéaste capable de créer un réel sentiment de peur, d’effroi, avec des choses simples ? Je pense à une scène en particulier de La nuit du 12, où les deux enquêteurs sont de retour sur les lieux du crime en pleine nuit et s’aperçoivent que quelqu’un les observe.

Tant mieux si la vision de ce type immobile, dont on ne sait rien, qui sort d’on ne sait où et qui porte cette vraie étrangeté inquiétante, fonctionne aussi bien. Donc oui, bien sûr, c’est totalement intentionnel de ma part, mais je suis toujours ravi d’apprendre que l’astuce fonctionne.

A plusieurs reprises dans Dossier 137, on voit des personnes regarder des vidéos sur leur smartphone mettant en scène des chats. Ces images agissant comme soupape de décompression face à des situations complexes à gérer pour eux. Or, on sait très bien qu’il n’y a rien de plus néfaste pour notre santé mentale que de scroller des absurdités sur son téléphone…

La consommation de vidéos de chats à petite dose est tout à fait recommandable, même par votre médecin (rire). Mais si ça dépasse la dose homéopathique, c’est évidemment problématique. Les réseaux sociaux, le scrolling, le flux incessant de notification qui arrivent sur votre téléphone empêchent clairement de réfléchir en profondeur et de voir la complexité des choses importantes qui nous entourent.

Je me suis efforcé, dans Dossier 137, à ne pas proposer quelque chose de manichéen mais de questionner, de montrer la complexité de ce mouvement des gilets jaunes, du maintien de l’ordre, de l’influence du gouvernement et de la rhétorique des représentants politiques à propos des répercussions. La première étant la difficulté, la complexité du travail d’un enquêteur de l’IGPN dans un tel contexte.

Pour en revenir à l’effet addictif de nos smartphones, je pense que la salle de cinéma reste le seul endroit où on est obligé de couper son portable. Donc d’être concentré sur un sujet. A la maison, même si on regarde un film dans de très bonnes condition, avec son vidéoprojecteur sur un grand écran par exemple, le portable reste allumé. On va donc inévitablement être distrait dès qu’un texto arrive. On sait très bien qu’on ne pas pouvoir s’empêcher de regarder.

La salle de cinéma est le seul endroit où on est encore concentré sur un récit, sur une narration. Cela nous permet encore d’explorer différents points de vue. C’est très important. Comme le dit le personnage incarné par Léa Drucker : si chaque point de vue autre que le sien est vécu comme hostile, comment est-ce qu’on tient ensemble, comment est-ce qu’on fait en société ? Et ça c’est une question qui me préoccupe, bien sûr.

Dossier 137 © Fanny de Gouville // Modds

Cette question d’addiction numérique n’est abordée qu’en filigrane dans Dossier 137. Pourtant, l’impact sur le spectateur est très puissant, voire sans doute plus que si vous aviez choisir de faire de nos addictions au scrolling le centre névralgique du film.

Avec Gilles Marchand, nous avons voulu appuyer sur quelque chose ayant pris forme sur une simple intuition. Les vidéos de chats, dont Gilles est très friand d’ailleurs (rires), ça a commencé sur une intuition mais sans qu’on la théorise, sans qu’on se dise : « ah, ça c’est super, parce les gens vont comprendre la métaphore, la signification de ce qu’on a fait ».

Je pense qu’il faut aussi, en tant que réalisateur et scénariste, faire un peu confiance à son instinct, et ne pas essayer dans un film que tout ait une explication définie, une justification claire. Cela permet aussi d’autant plus aux spectateurs de s’en emparer d’un élément et, tout à coup, d’avoir un rapport très personnel à un détail du film.

On trouve toujours des éléments fantasmagoriques, voire même parfois irrationnels, dans vos films. Un peu comme une marque de fabrique. Ces notions sont néanmoins absentes de vos deux derniers films.

Pas tout à fait d’accord (rires). Dans La nuit du 12, ça reste pour moi fortement présent. Quand le personnage incarné par Bastien Bouillon fait les tours sur la piste en vélo de manière obsessionnelle, il y a pour moi quelque chose de très mental. Aussi par exemple quand les images des différents suspects se superposent à son propre visage.

Mais il est vrai que dans Dossier 137, c’est beaucoup moins présent. Ce n’est pas pour autant que j’abandonne complètement cette idée. D’ailleurs, on en parle parfois avec Gilles, en gardant bien à l’esprit qu’il faut faire attention de ne pas perdre complètement ça. Tout simplement parce c’est une manière d’aborder certains détails scénaristiques qui nous plaît beaucoup.

La nuit du 12 © Haut et Court

Vous avez grandi en Allemagne avant de partir à New York pour vos études de cinéma. Comment êtes-vous entré en contact avec culture cinématographique française ?

J’ai eu la grande chose de pouvoir passer, dans le cadre d’un échange, par l’Université de New York, où je suis resté deux ans dans un département de cinéma. C’est là que j’ai réalisé mes premiers courts-métrages. Je suis ensuite revenu en France et j’ai fait l’IDHEC (ndlr : Institut des hautes études cinématographiques), aujourd’hui devenu la Fémis. C’est vraiment à ce moment-là que j’ai pu m’y plonger complètement.

Comment êtes-vous entré en contact avec le thriller, votre genre de prédilection ?

Mon intérêt pour le thriller à de manière très claire débuté avec le cinéma d’Alfred Hitchcock. A l’époque, je ne connaissais personne dans le cinéma. C’était un milieu qui me semblait inaccessible, voire même incompréhensible. Mais j’avais vraiment une curiosité très forte sur le comment de la fabrication d’un film. Le détonateur fut pour moi la lecture du livre Hitchcock/Truffaut.

J’ai vraiment appris énormément de choses en lisant ces entretiens et en regardant en parallèle les films d’Hitchcock : comment on joue à l’écran sur le suspense, la tension, avec des rebondissements inattendus ou des personnages un peu troubles. C’est totalement fascinant.

Dans un deuxième temps, les réalisateurs français sur lesquels j’ai jeté mon dévolu furent, bien plus que ceux de La Nouvelle Vague, Henri-Georges Clouzot et Jean-Pierre Melville. J’ai vraiment développé une impédance pour eux, particulièrement Melville, avec son sens aigu du détail, le fait de ne pas avoir peur de « déplier des choses » pour montrer avec une grande précision, par exemple, la préparation d’un braquage dans Le Cercle Rouge.

Ce genre de minutie, à la fois très visuelle et souvent dénuée de dialogues, reste plus qu’une figure de style, un vrai modèle dont on peut s’inspirer. Le cinéma, c’est d’abord et avant tout un art visuel, d’où mon grand intérêt pour ces réalisateurs.

En regardant la liste de vos films de chevet, on y trouve justement Le Salaire de la Peur et L’Armée des Ombres, mais aussi Vertigo d’Alfred Hitchcock, Playtime de Jacques Tati ou Chinatown de Roman Polanski. Tous ces films ont en un point commun d’être des œuvres très complexes à mettre en place, carrément pharaoniques pour certaines, faites par des maniaques du détail parfois devenus obsédés par leur œuvre au-delà du raisonnable. Une attitude à la fois totalement fascinante et effrayante. Vous est-il arrivé d’avoir la crainte de vous perdre dans un projet, un peu comme le personnage incarné par Gene Hackman dans Conversation secrète ?

On sait que Melville, Clouzot et Hitchcock n’étaient pas des personnalités très agréables sur les tournages, ce qui ne les empêche pas d’être à juste titre considérés comme des génies du cinéma. Par chance, j’ai un caractère plus posé qu’eux. Ce qui m’intéresse en priorité quand je fais un film, c’est de le faire en parfaite collaboration avec tous les gens qui m’entourent sur un plateau. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas moi qui suis le capitaine à bord (rires).

Les projets pharaoniques que vous décrivez ne m’attirent pas spécialement. Aussi parce que je pense qu’il est possible de faire de très belles choses avec des moyens raisonnables. La seule fois de ma carrière où je me suis approché d’une œuvre pharaonique, ce fut pour Le Moine. Parce que c’est un film d’époque, avec de très nombreux décors, des costumes, la reconstitution d’une procession impliquant 300 figurants. C’était très amusant à faire et en même temps, je sentais quand même aussi le côté paralysant du coût du film et, par effet domino, la pression qu’on se met par rapport au futur résultat du métrage au box-office.

Mais si jamais un projet auquel je tiens beaucoup devrait exiger un budget élevé, je ne l’exclus pas du tout, même si je ne vais pas naturellement vers cela, et bien qu’il y ait effectivement quelque de fascinant dans ces histoires de tournages pharaoniques…

Dossier 137 de Dominik Moll, avec Léa Drucker, Théo Navarro-Mussy, Théo Costa-Marini, Valentin Campagne, Guslagie Malanda, Stanislas Merhar, France, 1h55. Actuellement sur les écrans.

MATERIALISTS (Celine Song, 2025)

Employée dans une agence de rencontres new-yorkaise, Lucy (Dakota Johnson) est une « matchmakeuse ». Ayant pour tâche de dénicher le meilleur parti possible pour des clients exigeants, elle continue à trainer son célibat, tout en gardant de forts liens d’amitié avec John (Chris Evans), son amour de jeunesse. Transgressant la règle définissant qu’il ne faut jamais mélanger plaisir et travail, Lucy fini par accepte un rendez-vous Harry (Pedro Pascal), l’héritier d’une grande famille…

Rares sont les films qui me posent un dilemme ne me permettant pas de me positionner illico. Donner son avis un tant soit peu argumenté et à chaud à propos d’un film est un exercice pas si difficile que ça et, soyons honnête, dont tout le monde s’en fout éperdument (n’en déplaise à certains gardiens du temple, encore et toujours convaincus d’avoir une quelconque influence sur une audience).

La question du jour est donc de savoir si Materialists, premier long métrage américain de Celine Song (Past Lives), est un nanar de première, le film le plus putassier de l’année ou, pourquoi pas, une comédie romantique un peu moins futile qu’elle ne pourrait le laisser croire.

A l’issue de la vision du métrage, je me tourne tout naturellement vers ma moitié, de nature moins ronchon que son mari et, de manière générale, beaucoup plus tolérante que moi avec des films balisés comme des autoroutes helvétiques.

Je m’attendais donc, en lui disant que mon premier sentiment à propos de Materialists était de ne pas savoir si je venais de voir le film le plus faux-derche du siècle ou quelque chose de potentiellement viable, de la voir à la fois dépitée « devant le niveau navrant du dialogue » (dixit) et un minimum énervé d’avoir « perdu deux heures de son temps devant une telle bêtise » (re-dixit). Des arguments que se défendent plus que largement.

Moi qui comptais passer, une fois n’est pas coutume, pour un gentil et me trouver une alliée dans une cause si ce n’est désespérée, totalement vaine, j’en ai pris pour mon grade.

Certes je déteste cordialement Pedro Pascal, sorte de croisement entre Mason Capwell et Burt Reynolds dont le succès continue à m’étonner, et le glamour de Dakota Johnson me renvoie illico au navrant Cinquante nuances de Grey, assurément le métrage le moins érotogène du troisième millénaire, mais j’avoue avoir, si ce n’est pris un plaisir flagrant, trouvé dans cette romance très ancrée dans son époque un tant soit peu de vraisemblance.

Oui, les apparences, aussi fabriquées soient-elles, ne peuvent combler une sensation de vide qu’un bref instant. Et c’est tout ? En substance, oui. Rien de nouveau sous le soleil donc ? Pas vraiment. Si ce n’est peut-être que Materialists pourra potentiellement servir de détonateur pour quelques personnes plus que jamais obnubilées par les signes extérieurs de richesses. C’est maigre certes, mais pour ce genre de « produit » produit en 2025, c’est déjà pas si mal…

Où voir le film ?

Materialists est disponible en Blu-ray et DVD chez Sony Pictures (distribution Suisse : Rainbow Home Entertainment)

LIFE OF CHUCK (THE LIFE OF CHUCK, Mike Flanagan, 2024)

Alors que le monde semble s’effondrer, que les catastrophes naturelles s’enchaînent, qu’Internet est coupé, des panneaux publicitaires remercient un certain Chuck pour ses 39 merveilleuses années passées. Pourtant, personne ne semble connaitre cet homme d’apparence ordinaire…

Au mois de mars 1995 sortait dans l’indifférence générale sur nos écrans Les évadés de Frank Darabont, adaptation d’une nouvelle de Stephen King. 30 ans plus tard, ce flop retentissant est devenu le film le mieux noté de la plateforme IMDb.

Au mois de juin 2025 sortait dans nos cinémas, une nouvelle fois dans l’indifférence globale, Life of Chuck, d’après un court roman de Stephen King. Sans tirer de plan sur la comète, et sans mauvais jeu de mots au regard du sujet du film, fort est à parier que le film de Mike Flanagan gagnera en estime avec les années.

Appartenant aux œuvres de King ne faisant pas directement appel au fantastique, Life of Chuck est sans cesse comparé à Stand by Me. On pourra légitiment lui trouver plus de points communs avec Cœurs Perdus en Atlantide (Hearts in Atlantis, Scott Hicks, 2001), autre adaptation d’une nouvelle de Stephen King s’étant soldée par flop retentissant, et qui n’a malheureusement pas eu droit jusqu’ici à une quelconque réhabilitation jusqu’ici.

Mais revenons au film de Mike Flanagan, réalisateur s’étant déjà par deux fois dans le passé intéressé à l’œuvre de Stephen King (Jessie, roman jugé comme impossible à adapter en 2017 et Docteur Sleep, suite peu convaincante de Shining, en 2019).

Adorant jouer avec les possibilités techniques actuelles (il l’avait déjà brillamment fait dans Ouija : Origins of Evil en poussant le vice jusqu’à ajouter à son film de faux points de repère pour les changements de bobines), Flanagan joue ici avec différents formats d’image en fonction des trois chapitres, situés à des époques différentes, du film.

Si l’astuce fonctionne admirablement au cinéma, elle se fait plus discrète en vidéo. En effet, tandis que le formatage intelligemment modifié de l’ensemble pour le petit écran évite l’effet « boite dans la boite » (comme ce fut le cas pour d’autres métrages utilisant le multi-format, tels que L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux), il fait presque passer inaperçu un subterfuge apportant pourtant concrètement un plus à l’esthétisme de l’œuvre.

Difficile d’en dire plus sur Life of Chuck sans en dire trop. Ajoutons simplement que si toute la promotion du film est axée Tom Hiddleston, le comédien britannique en est l’axe central sans pour autant être omniprésent à l’écran.

Œuvre faisant appel à des notions telles « l’infiniment grand et l’infiniment petit » comme une perception plus que potentielle, parabole universelle sur le sentiment de « déjà vu » et la possibilité de déconsidérer une vanité très ancrée dans nos sociétés occidentales afin de concentrer ses efforts sur des valeurs fondamentales intrinsèques, Life of Chuck réussi avec une simplicité déconcertante tout ce que le très ambitieux Cloud Atlas n’était parvenu qu’à effleurer.

Film qui restera à coup-sûr comme l’un des meilleurs de l’année cinématographique 2025, Life of Chuck mettra peut-être du temps avant d’être considéré comme le métrage essentiel qu’il est. La consécration du film de Mike Flanagan n’attend peut-être que vous pour devenir concrète…

Où voir le film ?

Première publication de l’éditeur Nour Films, le Blu-ray de Life of Chuck est de très bonne tenue et cible l’essentiel. Le making of et les interviews présentées en bonus vous donneront un complément passionnant sur la genèse du film. Les premiers exemplaires du produit contiennent également en cadeau deux goodies papier s’avérant, une fois n’est pas coutume, plus qu’un simple gadgets, des petits objets fort utiles.

LE LOCATAIRE (THE TENANT, Roman Polanski, 1976)

Trelkovsky (Roman Polanski), un homme timide et réservé, s’intéresse à louer un appartement vacant dans un vieil immeuble parisien. Lors de la visite, la concierge (Shelley Winters) lui apprend que Simone Choule, l’ancienne locataire, a tenté de se suicider sans raison apparente en se jetant de la fenêtre de l’appartement. Très tatillons, les divers habitants de l’immeuble tiennent particulièrement au calme et à la respectabilité de l’endroit. Peu à peu, Trelkovsky commence à penser que ses respectables voisins lui veulent du mal…

Dernier volet de la « trilogie des appartements maudits », après Répulsion (1964) et Rosemary’s Baby (1968), Le locataire est aussi celui qui mettra le plus de temps avant d’être considéré comme une pierre angulaire dans la filmographie de Roman Polanski.

Après Londres et New York, le cinéaste installe son ultime intrigue dont l’enfermement est la clé de voute au cœur de Paris. Afin de mieux brouiller les pistes, Polanski attribue les principaux rôles des personnages intempestifs (la concierge, le propriétaire de l’immeuble et la plus influente des locataires) à des comédiens américains sur le déclin. Un peu comme s’il avait voulu raccrocher ce récit terriblement noir à son passé hollywoodien chahuté.

Là où Répulsion et Rosemary’s Baby jouaient sur l’interaction concrète avec l’entourage proche du protagoniste central, Le locataire s’affranchit de cet aspect palpable pour encore mieux surprendre le spectateur. Délestant le côté clairement conspiratoire du roman de Roland Topor dont il s’inspire le présent film (rendant chaque confrontation entre Trelkovsky et ses voisins possiblement fantasmagorique), Polanski laisse malgré tout à chaque instant planer le doute. Un peu comme si le réalisateur avait mis en chantier Le locataire dans l’unique but de satisfaire les aficionados de Rosemary’s Baby qui auraient (à juste titre peut-être) regretté que le dénouement de ce film référence, où l’horreur est à chaque instant suggérée via son incrustation dans un banal quotidien contemporain, soit justement trop explicite et concret.

Certes, il y a fort à parier que Trelkovsky ne soit qu’un schizophrène imprégné par le lourd passé de l’endroit qu’il habite. Mais pourquoi dès lors ce jeune exilé, qui a sans doute tout comme Polanski subi les affres d’un douloureux passé (l’incarnation du personnage par le cinéaste n’a évidemment rien d’un hasard), s’acharne-t-il à vouloir à tout prix rester dans son appartement, alors que sa clairvoyance paranoïaque l’invite à fuir au pas de course ?

Se terminant par une courte séquence remettant en cause l’intégralité des certitudes que le spectateur s’est peu à peu forgées, Le locataire ouvre soudainement une autre porte. Une autre réalité parallèle potentielle, qui offre d’un coup au récit une possible dimension surnaturelle, jusque-là volontairement écartée par Polanski. Une ultime manière sans doute d’encore plus déstabiliser l’audience. Et ça marche !

Prémisse totalement réussie (et ce malgré le fait que Roman Polanski considère Le locataire comme « une expérience ratée mais intéressante ») de tout ce que David Lynch s’acharnera à mettre en place dans sa filmographie, Le locataire est définitivement l’œuvre la plus sous-estimée de son réalisateur. La pièce maitresse d’un puzzle où chaque élément afficherait un traumatisme de Polanski, cinéaste aujourd’hui à juste titre sujet à controverse, mais dont la parcours filmique n’aurait sans doute pas été aussi passionnant si l’homme avait connu une destinée « normale »…

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Le locataire est vraiment le film de grand studio de Roman Polanski qui fut le plus mal représenté sur support domestique pendant de nombreuses années. En effet, mis à part un DVD américain et un homologue français tardif nanti d’un riche livret, rien au catalogue de la Paramount, détentrice des droits au niveau mondial.

Le film fait son apparition aux Etats-Unis en Blu-ray sous l’effigie de Shout Factory en 2020 avec une VF. Problème : le disque est bloqué en « Region A ». Donc à moins d’être munis d’un lecteur américain, impossible de le lire chez nous. Ceci sans parler du fait que la compression du master utilisé y était calamiteuse.

Le film ressortait chez Vinegar Syndrome fin 2024 en combo UHD 4K + Blu-ray. Si le master est cette fois-ci parfait et le coffret limité très beau (présentant une fausse fenêtre aimantée laissant apparaitre le visage de Polanski une fois ouvert), le Blu-ray est toujours verrouillé uniquement pour les lecteurs US.

Par chance, nous pouvons aujourd’hui compter sur la bienveillance de l’éditeur Carlotta, toujours attentif à fournir à ses clients des produits de haut vol. On conseillera en priorité le coffret « Edition Prestige limitée », regroupant à la fois la version UHD et Blu-ray du film. Une bonne partie des bonus des éditions ricaines est reprise et d’autres exclusifs font leur apparition, avec en bonus des goodies très sympathique (affiche, jeu de photo, reproduction du dossier de presse original).

Attention : cette mouture, limitée à 2000 exemplaires, est déjà en rupture de stock à peu près partout. En se dépêchant, il est toutefois possible d’en dénicher un exemplaire via les deux sites de vente helvétiques principaux en matière de support physique. Mais ne tardez pas trop….

PHILIPPE SARDE  “Bandes originales des films SORTIE DE SECOURS/LA TRAVERSTIE/LA TRIBU” (1970/1988/1990, Music Box Records)

Le cinéma français des années 1960/70 regorge d’ovnis impossibles à imaginer aujourd’hui. Souvent reflets de leur temps, où la libération sexuelle post-soixante-huitarde était de mise, parfois avec l’appui d’artistes confirmés, voire carrément bankables, ces bobines ont généralement disparu de la stratosphère cinématographique et semblent bien décidées rester indéfiniment dans les limbes du Septième Art.

Au registre, la filmographie pour le cinéma de Roger Kahane est carrément un cas d’école. Figure incontournable de la télévision, ayant participé à maints émission et feuilletons populaires, le cinéaste se risquait au grand écran à la toute fin des années 1960 sous l’impulsion d’Alain Delon, qui produira ses deux premiers longs métrages.

De ces curiosités, il ne reste donc que les musiques, redevenues accessibles grâce à Music Box Records. Tout d’abord avec l’exhumation voilà 7 ans de la bande originale de Madly composée par Francis Lai, et tout récemment avec la ressortie de la musique que Philippe Sarde composa jadis pour Sortie de secours.

Difficile de se prononcer sur la qualité du film, ce dernier était vraiment impossible à dénicher. On sait seulement que ce dernier avait pour mission de faire de Régine autre chose qu’une reine des nuits parisienne. A l’écoute de cette seulement deuxième partition de Sarde (juste après Les choses de la vie), on n’a aucune peine à peine à croire que Sortie de secours fut une bien meilleure tentative que Madly, film réellement gênant, même sans être particulièrement en phase avec notre époque.

pochette du 45t paru en 1970 en parallèle de l’album

Jamais réédité jusqu’en 2022, le vinyle original de la bande originale du film Sortie de secours, sans doute pressé à seulement quelques milliers d’exemplaires à l’époque, est enfin disponible sous format CD. On y (re)découvre une partition étrange, faisant presque penser à celle d’un film fantastique, où Sarde semble s’amuser à tester des choses qui lui seront utiles pour sa carrière future.

Parmi les différents morceaux, on trouve un très joli thème repris dans plusieurs variations, dont celle sous le titre Passage Verdeau, interprétée à l’orgue Hammond B3, au Wurlitzer et au vibraphone, très représentative de ce qui se produisait à l’époque. Egalement et comme quasiment toujours un titre de « musique de source » (ici curieusement à l’accordéon, alors qu’on aurait imaginé quelque chose de pop), des plages fantasmagoriques peuplées de sons et de dialogues étranges (Square des innocents, Fantasme, Messe noire) et même un titre au riffle groovy-jazz (Hôtel des familles), à faire pâlir d’envie n’importe quel aficionado de sublimes sonorités perdues du passé et après lesquelles tout le monde court aujourd’hui.

Très courte bien que nantie d’un inédit, la bande originale de Sortie de secours est accompagnée ici de deux autres du même Sarde, composées pour des films tardifs d’Yves Boisset (La travestie et La tribu). Si beaucoup moins passionnantes que la partition de 1970, on saluera l’effort de Music Box Records à joindre à la tant attendue musique du film de Kahane deux autres scores, plutôt que de proposer un disque de moins de 30 minutes.

JOHN BARRY – Thunderball – Music from the Motion Picture – 60th Anniversary Expanded Edition (La-La Land Records)

On pourrait finir par croire que cette rubrique n’est allouée qu’à John Barry. Or, il n’en est rien. Juste un concours de circonstance en rapport avec de bienveillants éditeurs, qui semblent s’être donné le mot pour offrir aux fans du compositeur de nouvelles éditions à maintes bandes originales, renvoyant les précédents à la préhistoire.

Ayant conclus un deal avec MGM, détentrice des droits du catalogue United Artists (qui semble avoir échappé, du moins pour le son, à Amazon et Disney), La La Land Records, label spécialisé dans les belles rééditions depuis de très nombreuses années, s’est attelé à l’exhumation des soundtracks de l’agent 007 depuis un peu moins de 2 ans.

Les sorties se font au compte-goutte, les disques sont chers et limités, mais le plaisir de découvrir pour la première fois des BO dans leur intégralité et présentées chronologiquement est un pur bonheur dépassant très largement le simple artifice pour complétiste.

pochette originale de l’album vinyle paru en 1965

Le score de Thunderball est à l’image du film : totalement démesuré. Mais là où la dernière mission de James Bond signée par Terence Young peut donner l’impression d’un trop-plein de tout, sa bande-son prend une dimension toute autre.

Tandis que la bande originale de Goldfinger, précédente aventure de 007 qui définissait les codes de la saga, ne durait qu’une toute petite 40e de minutes, celle de Thunderball dépasse l’heure et demie ! Au-delà d’une simple démesure, soulignant bien que la « bondomania » n’a plus aucune limite budgétaire en 1965, c’est surtout le laboratoire d’expérimentation auquel John Barry a accès ici pour la première fois qui est totalement incroyable.

Sans exagération aucune, et en faisant bien-sûr abstraction des comédies musicales, on peut donc affirmer sans gêne que le score de Thunderball est la première vraie bande originale pharaonique de l’histoire du cinéma. Démesurée certes, mais sublime et sans concession.

Tel un orfèvre, Barry s’amuse sans limite à expérimenter des sons. Un exercice qu’il perpétuera les années suivantes avec You Only Live Twice, On Her Majesty’s Secret Service et Diamonds Are Forever, définitivement les 4 BO les plus réussies de l’histoire de la franchise. Passer à côté de l’acquisition du présent volume serait donc une lacune pour tout admirateur d’expérimentation sonore.

LA VIE, L’AMOUR… LES VACHES (CITY SLICKERS, Ron Underwood, 1990)

Mitch (Billy Cristal), Phil (Daniel Stern) et Ed (Bruno Kirby), trois amis approchant de la quarantaine, sont en pleine crise existentielle. Pour l’anniversaire du premier, ses deux potes ont l’idée de le convier à un séjour de deux semaines auquel ils se sont inscrits. But du voyage : conduire un troupeau de vaches du Nouveau-Mexique au Colorado. Mais les pieds-tendres vont rapidement réaliser que leur quinzaine de détente sera bien plus laborieuse qu’imaginée…

On se souvient tous d’une interview de Billy Cristal au moment de la sortie européenne de La vie, l’amour… les vaches, où le comédien découvrait, mort de rire, la traduction française du titre du film, il faut bien le dire totalement aux fraises. City Slickers, le nom original, que l’on pourrait simplement traduire par « Les citadins », est évidemment bien plus parlant et évite un mauvais amalgame avec une comédie potache, ce que le film de Ron Underwood n’est absolument pas.

Passé relativement inaperçu dans nos salles obscures à l’époque, le métrage trouvera son vrai public grâce à son exploitation en vidéoclub. En revoyant le film aujourd’hui, on est bien obligé de constater que City Slickers véhiculait, à une époque où la remise en question personnelle n’était pas légion, un joli message en filigrane, qui nous était passé au-dessus.

A travers les aventures rocambolesques de nos trois gaillards, c’est bel et bien un portrait clairvoyant bien qu’amusé de la crise de la quarantaine qui nous est dépeint ici, de la perte de repères au recentrage obligé que toute personne arrivant au milieu de son existence doit opérer afin de pouvoir, du mieux possible, atteindre une certaine sagesse.

Carton aux Etats-Unis, le film aura droit à une suite, L’or de Curly, également très sympathique, qui ne connaitra qu’une discrète exploitation cinéma durant l’été 1994 sur territoire francophone européen. Depuis, mis à part un DVD sorti chez Warner aux Etats-Unis (avec une vraie VF et les sous-titres idoines) à la grande époque du support physique, cette séquelle a totalement disparu des radars éditoriaux francophones. Un combo réunissant les deux métrages aurait d’ailleurs pu être une intéressante idée éditoriale…

Où voir le film ?

Spécialisé dans la réédition de films américains populaires des années 1980 et 90, l’éditeur Bubbel Pop’ reprend l’intégralité des bonus de l’édition MGM collector américaine (uniquement sur le Blu-ray) et y ajoute 2 modules produits à l’occasion de la sortie de ce petit coffret Blu-ray+DVD ainsi qu’un livret signé par Christophe Lemaire. A noter qu’une édition limitée, vendue exclusivement dans les magasins FNAC, contient en plus différents goodies (affiche, cartes postales, reproduction du dossier de presse, bandana).

DRIVER (THE DRIVER, Walter Hill, 1978)

A Los Angeles, un homme mystérieux et solitaire surnommé « le Cow-boy » (Ryan O’Neal) est celui que tous les gangsters s’arrachent. Passé maître dans l’art de semer la police en voiture lors de braquages à hauts risques, il s’associe au besoin les services d’une énigmatique et ténébreuse beauté (Isabelle Adjani), parfaite comme alibi. Bien décidé à le coffrer, un flic tenace (Bruce Dern) le traque sans relâche…

En revoyant The Driver, on a beaucoup de peine à se dire que ce film-là fut largement éreinté par la critique de l’époque de sa sortie. Epuré à l’extrême, scénarisé sur du papier à musique, porté par un casting imparable et suranné par son hypnotique bande originale, le deuxième long métrage de Walter Hill a tout d’un film parfait.

Certes, Walter Hill repique certains éléments du scénario qu’il avait écrit pour Guet-apens (1972). Il tentera d’ailleurs, sans y parvenir, de convaincre Steve McQueen de rejoindre le casting du film, mais ce dernier ne souhaite pas apparaître dans une œuvre où l’influence de Bullitt est palpable à chaque seconde. Tourné essentiellement de nuit avec maints problèmes de production, Driver est pourtant un métrage dont les inconvénients finiront par devenir des atouts majeurs.

Abonné aux personnages sympas dans des films jugés trop gentillets, Ryan O’Neal endosse mieux que personne ce personnage de chauffeur énigmatique et taiseux, en apparence tout doux tout miel mais qui, tel un félin, sait exactement à quel instant laisser jaillir ses pulsions. Le parfait miroir inversé en somme du flic qu’incarne lui aussi à la perfection Bruce Dern, crâneur qui ne peut s’empêcher de la ramener inutilement.

Premier et seul film intéressant dans la carrière américaine d’Isabelle Adjani, The Driver permet à l’actrice d’éviter le sempiternel rôle caricatural de la « french girl ». Mystérieuse à souhait, jouant sur la retenue et affichant une beauté froide sans égale, la Française, alors âgée de 23 ans seulement, offre une performance en forme de parfait alter ego féminin de Delon dans Le samouraï (1967).

Jouant avec les pare-brise de bagnoles comme la réflexion d’une arme blanche, utilisant comme personne des endroits peu reluisants de L.A. comme décor, s’amusant avec les perspectives dans d’interminables scènes où la caméra, immobile, se « contente » d’attendre l’arrivée des protagonistes, Walter Hill signait ici une œuvre de référence qui, avec le temps, allait grandement gagner en estime et inspirer les cinéastes contemporains. Définitivement le film injustement boudé des seventies.

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Sorti une première fois chez Studiocanal en 2015, Driver fut réédité fin 2022 dans une prestigieuse édition Steelbook 4K+Blu-ray. Epuisée, ladite édition a laissé place à un simple DVD peu compatible avec les standards actuels.

A noter que les versions 4K+Blu-ray et Blu-ray simple sont encore disponibles en Angleterre, avec des disques identiques en tous points. Il est également possible de dénicher sur différents sites de revente un Blu-ray paru dans différents pays (Australie/Allemagne/Italie/Norvège/Suède/Finlande) chez Universal il y a dix ans et qui contient, ô miracle, une version française et les sous-titres idoines.

Attention : évitez à tout prix un import US de The Driver : le film y est amputé, sur toutes les éditions disponibles outre-Atlantique, d’une scène essentielle entre Ryan O’Neal et Isabelle Adjani.

IN BED WITH MADONNA (MADONNA: TRUTH OR DARE, Alek Keshishian, 1991)

Lorsque le film In Bed with Madonna débarque sur les écrans en mai 1991, tout le monde s’attend à voir ce qui a été annoncé. A savoir une capture filmique de la tournée Blonde Ambition Tour, show pharaonique de la superstar, alors au top de sa carrière artistique.

On se souvient d’ailleurs très bien des spectateurs déconcertés, voire carrément mécontents, venant à la caisse des cinémas pendant la projection pour demander si on ne serait pas en train de leur diffuser le mauvais film. Considéré par beaucoup comme une « tromperie sur marchandise », notamment à cause de son titre européen mensonger, In Bed with Madonna ne laissa que peu de souvenirs autres que mitigés dans les mémoires.

En cause sans doute également, l’exploitation du film majoritairement en français dans nos salles, qui faisait carrément passer cette curiosité pour un véritable OVNI puisque, sauf erreur, il s’agit là de la seule tentative de doublage réel d’un documentaire musical. Comprendre : une VF identique celle d’un film de fiction et non, comme traditionnellement pour ce genre de produit, réalisé à l’aide d’une voix-off venant doubler, façon commentaire, le propos original.

Et il faut bien admettre que d’entendre Madonna doublée dans la langue de Molière par Maïk Darah, voix ultra-identifiable attitrée, entre autres, de Whoopi Goldberg et Courteney Cox, ça pique méchamment les oreilles ! (La VHS vendue quelque mois plus tard était d’ailleurs la première du marché à proposer, sur la même K7, le film en VF suivi de sa VOst).

Se risquer à revoir aujourd’hui Truth or Dare représentait donc un pari pas forcément risqué, mais au minimum hasardeux. Passé le cap d’une trentaine de secondes en VF, histoire de se bidonner un bon coup, le film prend une tout autre dimension quant visionné en VO et en gardant bien en tête qu’il s’agit d’un documentaire sur une tournée et non un simple concert filmé.

Stupeur donc de découvrir un film bon. Très bon même. Devenant presque accessoires, les très brève parties live (en couleurs) laisse place à une œuvre tournée dans un noir/blanc digne d’un film noir de la grande époque. Une réalisation de très bonne facture d’Alek Keshishian, jusque-là réalisateur de vidéoclips, propulsé metteur en scène du doc après le désistement d’un certain David Fincher.

L’ambivalence de l’ensemble, à la fois très contrôlé par Madonna, productrice du film, et de sa volonté de se montrer sans fard, très pro et proche de son personnel (comprendre : ses indispensables danseurs et son équipe technique totalement dévouée) tranche lucidement avec une provocation savamment orchestrée (Linda Lovelace, largement détrônée dans une séquence devenue culte, a dû en faire des crises de jalousie).

Au final, In Bed with Madonna pourrait presque passer pour une œuvre de fiction, tant tout ce qu’on y voit semble irréel. Que ce soit d’assister une séance de drague lourdingue de Madonna envers un Antonio Banderas qui ne sait plus comment se débarrasser de la superstar, pour le coup positionnée dans l’attitude d’une midinette adolescente, ou la manière dont elle clache Kevin Costner, présent car invité au concert mais peu convaincu, dès qu’il a tourné les talons.

Film unique dans l’histoire du cinéma, In Bed with Madonna mérite donc une relecture avec l’œil de 2025. Un œil habitué depuis bien malgré lui à toute forme d’intrusion voyeuriste orchestrée de l’intimité d’une personnalité.

Où voir le film ?

Disponible en combo Blu-ray+DVD+livret chez Bubbel Pop’. Contrairement à Recherche Susan désespérément, paru il y a quelques mois chez le même nouvel éditeur, le présent film est disponible pour un prix plus raisonnable, car vendu sans fioritures encombrantes.

Quatre longues interviews réalisées pour cette édition forment les bonus. Entre l’intervenant à côté de la plaque, celui qui n’a rien à dire et un qui s’écoute parler, on retiendra le discours d’Olivier Cachin. Très à l’aise, connaissant son sujet sur le bout des doigts et passionnant dans son exposé, l’ancien présentateur de RapLine est la vraie plus-value de ces suppléments.

Les personnes désireuses de (re)voir le Blonde Ambition Tour sont invités à se rendre sur Youtube, où il est possible de trouver, sans grande difficultés, des versions restaurées des deux laserdics parus respectivement à l’époque en France et au Japon. Donc avec deux captures distinctes du concert. De quoi plonger complètement dans ce spectacle, qui reste assurément la meilleure représentation scénique de la Madonne.