SIRAT (Oliver Laxe, 2025)

Après que sa fille ait disparu sans laisser de traces lors d’une rave party au Maroc il y a plusieurs mois, Luis (Sergi Lopez) se lance à sa recherche. Il est accompagné dans son périple par Esteban (Bruno Nunez), son fils de douze ans. Ses recherches le poussent à intégrer des techno-party illégales en plein désert…

J’avoue, votre honneur : je m’étais promis, voire juré, de ne défendre ici que des causes auxquelles j’étais acquis. Mais quand un film me laisse relativement de marbre, moi le simple cinéphage ayant malgré tout acquis certaines connaissances au fil de temps, face à une intelligentsia auto-proclamée et inconditionnellement acquise à la cause d’une œuvre, je ne peux m’empêcher de m’insurger poliment.

Le film incriminé s’appelle Sirat, il est réalisé par le réalisateur galicien Oliver Laxe et, depuis sa consécration indirecte à Cannes (certains y voyaient une Palme d’Or évidente), a conquis la stratosphère hipster. Donc les gens qui regardent de vrais films pour les bonnes raisons (comprendre : si tu ne trouves pas un sous-texte socio-politique a un long métrage, ben c’est que c’est de la merde).

Je suis malgré tout allé voir Sirat assez confiant au vu des retours reçus, en provenance de différents milieux. Donc pas uniquement les gardiens du temple et autres Ayatollah du cinéma, jamais avares d’une petite leçon de morale à deux balles.

« Eh bé » comme on dit loin des capitales. Consternation serait une terminologie un peu forte au regard de mon sentiment à la sortie de la salle. Mais bon, faire un cirque pareil pour un film relativement chiant, totalement assourdissant (parait que le compositeur de la BO est un haut ponte de la scène électro berlinoise. Je lui cherche encore un quelconque signe de génie), Sirat contient juste deux séquences chocs, totalement inattendues, très bien orchestrées, et qui font en toute logique leur petit effet (pas très surprenant quand survient quelque chose de stimulant alors qu’on s’emmerde ferme depuis 70 minutes).

Visiblement – bien que ne le disant pas – sous influence d’autres métrages autrement plus réussis en mode « conquistadors de l’inutile » (Aguirre et Fitzcarraldo de Werner Herzog, The Lost City of Z de James Gray), Oliver Laxe réduit ici à néant une quelconque possibilité de « divertissement » au profit d’un nihilisme creux comme une amphore made in China.

Car une œuvre nihiliste ne peut pas simplement, sauf si elle se fout totalement du monde, être quelque chose où on ne fait qu’aligner de jolies séquences bien foutues, avec l’appui d’un scénario tenant dans un dé à coudre et avec l’argument bidon de la fin ouverte menant à une introspection personnelle.

Bon, a priori je n’ai rien compris : Sirat serait plus qu’un film, un authentique déclencheur permettant de « regarder à l’intérieur soi à travers le goût pour le crépuscule du cinéaste, qui peut également être une source de lumière » (je n’invente rien : je ne fais que citer le dossier de presse du film).

Laxe ferait beaucoup mieux d’assumer s’être largement inspiré du Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot et de Sorcerer, son admirable remake réalisé par William Friedkin. Egalement d’avoir sur sa table de chevet des films australiens barrés tels que Wake in Fright de Ted Kotcheff et le sublime mais toujours méconnu Walkabout de Nicholas Roeg. Aussi, de manière peut-être moins flagrante car entrant dans le registre « le film n’a tellement rien à voir que je peux piquer des plans entiers sans que personne ne moufte », Pink Floyd at Pompeii, auquel la présente « œuvre » subtilise carrément toute sa séquence introductive.

Renvoyons donc les personnes ayant trouvé Sirat exceptionnel – ce qui reste évidemment leur droit le plus légitime – devant les films précités et surtout ce qui restera à tout jamais comme le mètre-étalon du genre : Le trésor de la Sierra Madre de John Huston, incontestablement un des meilleurs métrages jamais réalisés, et sur lequel le poids des années n’a que très peu d’emprise. Une œuvre essentielle, majeure, dans laquelle n’importe quel spectateur pourra s’identifier. Tout le contraire du film de Sirat en somme…

Sirat d’Oliver Laxe, avec Sergi Lopez, Stefania Gadda, Jushua Liam Herderson, Tonin Janvier, Jade Oukid, Richard Bellamy, Espagne/France, 1h55. Actuellement sur les écrans.

REVES SANGLANTS (THE SENDER, Roger Christian, 1982)

Un adolescent amnésique (Zeljko Ivanek) est admis dans un hôpital psychiatrique après une tentative de suicide. Ce dernier semble posséder un curieux pouvoir : celui de transmettre ses rêves et cauchemars à d’autres personnes…

Ce film-là était l’un de ceux apparu dans nos vidéoclubs au moment de leur démocratisation. Totalement disparu des radars éditoriaux depuis cette époque bénie, où les ados que nous étions ne manquions jamais une occasion de nous attarder longuement au rayon « horreur », Rêves sanglants se voit enfin édité dans nos contrées et pourra donc rejoindre La vallée de la mort et En plein cauchemar (sortis il y a quelque temps chez Elephant Films) sur vos étagères.

Le réalisateur Roger Christian est un artisan resté dans certaines mémoires pour deux faits « mémorables ». Tout d’abord pour sa collaboration sur La guerre des étoiles et Alien, le 8e passager comme chef décorateur. Ensuite et surtout – mais pas dans le bon sens du terme – pour Battlefield Earth, nanar intersidéral basé sur un roman de Ron Hobbard, père fondateur de l’Église de Scientologie. L’exhumation de The Sender remet donc les pendules à l’heure concernant le cinéaste britannique, qui avait plutôt bien commencé sa carrière en décrochant par deux fois un Oscar.

Surfant à l’évidence sur les succès d’estime tels que Patrick de Richard Franklin ou Scanners de David Cronenberg, Rêves sanglants exploite le filon d’une horreur parapsychologique via un personnage dont la vie est un véritable enfer, car incapable de dompter son don, ou plutôt la malédiction dont il est victime depuis sa naissance.

Partageant certains éléments avec le formidable film de Sydney J. Furie L’Emprise (The Entity) sorti la même année, anticipant de manière claire Charlie (Firestarter, Mark L. Lester, 1984), The Sender est une œuvre suffisamment singulière dans l’histoire du film de genre pour séduire le spectateur à la recherche de petites perles rares.

Mentionnons encore la présence au générique de Shirley Knight, comédienne ayant connu un brillant début de carrière (Doux oiseau de jeunesse de Richard Brooks, Le groupe de Sidney Lumet), et qui se retrouvera ensuite reléguée à des prestations de second ordre. Un peu de la même manière que Zeljko Ivanek, sur lequel repose le présent film, devenu entretemps un second rôle récurrent du cinéma et de la télévision américaine.

Où voir le film ?

Disponible dans la collection « Angoisse » en coffret limité Blu-ray+DVD de l’éditeur Rimini, avec pour seul bonus une très originale bande annonce, mais avec le désormais traditionnel livret de Marc Toullec.

Le master – le même utilisé pour toutes les éditions disponibles à travers le globe – affiche quelques signes d’ancienneté (tâches et scratches de pellicule, définition et colorimétrie paraissant dater du début de l’ère HD). Ceci ne gâche heureusement en rien le visionnage de cette rareté et lui donne même une petite patine vintage pas déplaisante.

LA TOUR DU DIABLE (TOWER OF EVIL, Jim O’Connolly, 1972)

Accostant Snape Island, un îlot au large de l’Écosse, deux pêcheurs découvrent les corps de trois jeunes gens sauvagement assassinés. L’unique survivante, dans un état second, tue l’un des hommes de la mer. Admise dans un hôpital, la jeune femme va raconter ce qu’elle a vu. Peu après, des archéologues accompagnés d’un détective, débarquent à la recherche de la tombe d’un roi phénicien…

La sortie d’un petit film horrifique britannique des années 1970 est toujours un micro-événement pour les amateurs du genre. Ayant bien compris l’attrait de ces sympathiques bobines, l’éditeur Rimini ne manque jamais une occasion de publier un titre intéressant via sa collection « Angoisse ».

Sur le papier, La tour du Diable vend du rêve. En réalité, c’est autre chose qui se profile sur nos écrans, mais non moins sympathique. Plus proche d’un épisode de Chapeau Melon et Bottes de Cuir que d’un film de Pete Watkins, cette bobine de Jim O’Connolly, honnête artisan surtout resté dans les esprits pour La vallée de Gwangi (1969), ne vous donnera point de cauchemars, mais représente une formidable séance de Swinging London décalée.

Empruntant au passage d’évidents éléments aux Dix petits indiens d’Agatha Christie, Tower of Evil est sans l’ombre d’un doute un film dont Joe D’Amato c’est largement servi lors de l’écriture du très surestimé Anthropophagus (1980), tant le décorum et le canevas scénaristique sont identiques.

Osons au passage avouer notre plaisir à peine coupable de voir une bande de pseudo-archéologues (on reconnaitra au passage Anna Palk, avant tout restée dans les mémoires pour son passage en tant que « Persuaders girl » dans l’excellent épisode Le complot de la série Amicalement vôtre), à la fois capables de garder leurs chemises à jabot et autre paletots en feutrine colorés impeccables dans une endroit peu reluisant, et d’être suffisamment démerdes pour apprêter un sublime roastbeef pour le dîner, sans doute concocté dans le cuisine portative de Brett Sinclair…

Où voir le film ?

Disponible dans la collection « Angoisse » de l’éditeur Rimini. Comme les autres titres, celui-ci est présenté sous la forme d’un luxueux coffret cartonné contenant le Blu-ray et le DVD du film, ainsi qu’un livret signé par Marc Toullec, l’homme qui écrit plus vite que son ombre…

La bonne entente entre les éditeurs, toujours bienvenue, permet à cette édition de récupérer la présentation du film par Eric Peretti, produite en 2016 pour la précédente édition DVD parue chez nos amis d’Artus Films.

5 SEPTEMBRE (SEPTEMBER 5, Tim Fehlbaum, 2024)

Le 5 septembre 1972, lors des Jeux Olympiques d’été de Munich, des membres de l’organisation terroriste Septembre Noir prennent en otages les athlètes israéliens au cœur du village olympique. Présente sur place pour couvrir la manifestation sportive, une équipe de la chaine ABC Sport va tenter de suivre, minute après minutes, les événements tragiques se déroulant sous leur yeux…

Le sujet avait déjà été traité par trois fois sous des angles différents. D’abord via un très honorable téléfilm porté par William Holden et Franco Nero (Les 21 heures de Munich, William A. Graham, 1976), ensuite à travers un excellent documentaire britannique (Un jour en septembre, Kevin Macdonald, 1999), enfin à travers un thriller sec axé sur les répercussions de la prise d’otage (Munich, Steven Spielberg, 2005).

Le réalisateur d’origine bâloise Tim Fehlbaum (cocorico !) se décide pour une approche toute autre avec une reconstitution à la virgule près de cette dramatique journée planqué dans la régie de la télévision américaine couvrant les JO.

L’idée est audacieuse, le résultat à la hauteur des espérances. Sans jamais quitter sa micro-équipe, ne proposant de voir les aller et venue des journalistes – obligés de jouer de diverses supercheries pour couvrir le drame en direct – que via des moniteurs, 5 septembre est aussi une reconstitution minutieuse d’un studio de télévision mobile du début des années 1970, témoignant des contraintes techniques de l’époque, qui limite évidemment les moyens d’action des journalistes.

Enfin, le film de Fehlbaum met admirablement bien en exergue le dilemme des membres d’une équipe en lutte avec leur intégrité de journaliste et leur conscience personnelle. Faut-il ou non suivre à tout prix les événement tragiques se déroulant sur leurs yeux afin de remplir la sacro-sainte charte du devoir d’information du public ? A quel moment cette mission bascule-t-elle dans la quête inconsciente de sensationnalisme ?

Les exemples de films reconstituant des moments ayant marqué l’histoire de la télévision sont aussi rares que réussis (Frost/Nixon de Ron Howard, Saturday Night de Jason Reitman), mais jamais un n’avait réussi à atteindre une telle tension anxiogène.

Soutenu par un casting cinq étoiles (Peter Sarsgaard, John Magero, Ben Chaplin, Zinedine Soualem), impeccables dans leurs rôles respectifs, 5 septembre confirme également de manière définitive la comédienne allemande Leone Benesch (La salle des profs, En première ligne) comme l’actrice la plus prometteuse de sa génération.

Ayant fait un passage plus que discret dans nos salles obscures au printemps dernier, 5 septembre s’avère effectivement être, comme le slogan publicitaire de l’affiche l’avance, le meilleur thriller de l’année. Quand bien même ce dernier se déroule-t-il dans un espace ultra-confiné et ne s’appuyant sur d’autres effets dramatiques que les événements auxquels les protagonistes assistent en même temps que le spectateur. Redoutable d’efficacité.

Où voir le film ?

5 septembre est disponible en Blu-ray et DVD chez Paramount (distribution Suisse : Rainbow Home Entertainment).

PARTIR UN JOUR (Amélie Bonnin, 2024)

Alors que Cécile (Juliette Armanet) s’apprête à ouvrir son propre restaurant gastronomique à Paris, la cheffe doit rentrer sur les lieux de son enfance suite de l’infarctus de son père (François Rollin), avec qui le dialogue n’est pas facile depuis des années. Loin de l’agitation parisienne, Cécile recroise Raphaël (Bastien Bouillon), garçon dont elle était amoureuse à son départ pour la capitale…

En 2023, Amélie Bonnin se voit décerner le César du meilleur court métrage pour Partir un jour. Assurément le meilleur film vu dans cette section depuis le jubilatoire Versailles Rive-Gauche de Bruno Podalydès (1992), ce petit film de 25 minutes parvenait mieux que n’importe quel autre à saisir 24 heures dans la vie d’un homme et d’une femme s’étant jadis ratés et ayant chacun fait leur vie de leur côté.

Œuvre un brin nostalgique sur fond d’image d’Épinal bretonne sur fond de chansons populaires intégrées aux dialogues, Partir un jour ne laissait aucunement le spectateur sur sa fin. Juste un brin triste de devoir déjà abandonner Caroline (Juliette Armanet), caissière dans un supermarché, et Julien (Bastien Bouillon), écrivain monté à Paris débutant le très difficile stade du 2e livre, après si peu de temps.

La joie nous a quelque peu envahie lorsqu’Amélie Bonnin se décida à transformer son petit bonheur en long-métrage, basé sur le même principe d’airs connus venant soutenir l’action, mais en inversant la donne : l’exilé ne serait plus l’homme mais la femme. Elle ne sera pas écrivaine mais cuistot ayant remporté Top Chef. Lui de son côté ne sera pas caissier dans un Super-U, mais mécano dans un garage et pilote de motocross à la petite semaine. Le décor ne serait plus celui d’un bord de mer atlantique mais un relais routier en bordure d’autoroute.

Si l’inversion des rôles semble à la base une idée intéressante et le changement d’environnement propice, le résultat prouve qu’une stratégie sans toute trop murement réfléchie ne s’avère pas toujours payante. Là où tout était léger et respirait la spontanéité parfois candide d’une première œuvre en 2021, tout ici semble, sans mauvais amalgame, peser le poids d’une grosse camionnette.

Loin d’être un mauvais film, Partir un jour, version long-métrage, supporte néanmoins assez mal la comparaison avec son génialissime modèle, à la fois bourré de spontanéité et de douce mélancolie. Exactement comme l’est une histoire d’amour adolescente, qui plus est lorsque cette dernière ne fut que fantasmée.

La confrontation entre le court modèle et la longue et par instant laborieuse copie sera facile pour les acquéreurs du film sur support physique, puisque le Blu-ray et le DVD contiennent, outre deux courts modules promotionnels, ledit petit film original césarisé, que l’on pourrait facilement se regarder en boucle. La seule présence ici de ce modèle de simplicité efficace justifie d’ailleurs largement l’acquisition du produit.

Où voir le film ?

Partir un jour est disponible en Blu-ray et DVD chez Pathé (distribution Suisse : Rainbow Home Entertainment).

ROGUE AGENT (Adam Patterson & Declan Lawn, 2022)

J’avoue, votre honneur : il m’arrive de regarder un film car une comédienne que j’aime est à son générique. Par « j’aime », je n’entends pas forcément qu’il s’agit d’une actrice incroyable. Juste une femme que j’ai plaisir à voir sur un écran. Oui, je sais, ce n’est pas très 2025 tout ça, mais pour ma défense, j’évite aussi comme la peste certains longs métrages pour la raison inverse : à savoir qu’une actrice s’y trouve, quand bien même cette dernière est sans doute brillante.

J’évite par exemple comme la peste un film dans lequel se trouve Margot Robbie, tant tout m’exaspère chez elle. A contrario, la présence de Gemma Arterton peut suffire à me motiver à la vison d’un métrage, même si ce dernier ne semble à priori pas terrible.

Fabrice Luchini est jadis tombé sous son charme (Gemma Bovery, Anne Fontaine, 2014). Comme je le comprends. Et puis, le joli minois de Gemma a quelque peu disparu des radars depuis une dizaine d’année. La faute à l’âge, puisque cette ancienne James Bond Girl malheureuse a aujourd’hui atteint son Migros Data à l’approche de la quarantaine ? Et ça, c’est très 2025, votre honneur : continuer à regarder des films avec Gemma Arterton, toujours aussi sublime, représente une vraie forme de résistance féministe !

Au détour d’une recherche sur IMDb à propos de Freya Mavor que je viens de voir exceller dans le pourtant pas excellent Dalloway de Yann Gozlan, je tombe sur Rogue Agent, film anglais surfant a priori sur la vague de l’espionnage sérieux, justement avec Gemma Arterton.

Sorti en 2022, le film n’a connu aucune sortie salle francophone, pas plus que d’éditions sur support physique autre qu’étrangères et difficilement localisables. L’affiche laisse entrevoir du sous-John Le Carré, le film est disponible sur Canal+, il n’en faut pas plus pour que je m’y risque. Et je dois dire que j’ai plus que bien fait.

En dire plus serait criminel envers d’autres cinéphiles friands de bonnes surprises, tant Rogue Agent en est une. Non que le film soit un chef d’œuvre ou quelque chose que l’on placera dans sa top ten list annuelle. Juste un thriller redoutable, comme on aimerait en voir plus souvent sur nos écrans de cinéma.

Au risque de me répéter, mais moins vous en saurez et plus l’impact de Rogue Agent sera grand. Je ne me targuerai même pas à vous donner le titre des autres métrages auquel celui d’Adam Patterson et Declan Lawn m’a fait penser, au risque de trop divulgacher. Foncez et laissez-vous berner de la même manière que Gemma Arterton. Le jeu en vaut, à condition toutefois de ne pas être ultra-sensible, clairement la chandelle…

Où voir le film ?

Rogue Agent est disponible (location et achat) sur Canal Plus :

https://www.canalplus.com/cinema/rogue-agent/h/21043670_40099/streaming

Coffret « TERREUR IBERIQUE »

Très bonne initiative de l’éditeur Carlotta avec le coffret Terreur ibérique, regroupant deux films de genre horrifique espagnol des années 1970 : Une bougie pour le Diable (Eugenio Martin, 1973) et Poupée de sang (Carlos Puerto, 1977).

Le métrage d’Eugenio Martin se distingue particulièrement via un traitement original du thriller avec la confrontation entre un traditionalisme villageois chaste et une forme de libéralisme citadin en pleine période franquiste. Porté par Judy Geeson, comédienne britannique habituée au œuvres flippantes (L’étrangleur de Rellington Place, Doomwatch, Sueur froide dans la nuit), le film doit surtout beaucoup aux prestations d’Aurora Bautista et d’Esperanza Roy dans les rôles de deux sœurs aubergistes enfermées dans une forme de puritanisme castrateur.

Plus foutraque, Poupée de sang a pourtant un arc narratif de départ ultra efficace (un couple, dont l’homme s’annonce auprès d’un autre comme un ancien camarade de classe oublié), mais le développement devient, au fur et à mesure des minutes, de plus en plus confus, le tout assujetti d’une toile de fond casse-gueule, le film se déroulant entièrement dans une maison. Ceci ne rend heureusement pas cette rareté risible ou ennuyeuse. Juste un peu bancale, surtout si l’on regarde le film en VF, cette dernière ayant à l’évidence été produite dix ans après la sortie du métrage.

Formant un double-programme assez idéal, Terreur ibérique pourrait facilement se décliner en plusieurs volumes ou, encore mieux, surfer de la même manière avec d’autres territoires européens ayant produit jadis de précieuses œuvres de genre. Terreur transalpine, Terreur germanique, Terreur britannique… Pourquoi pas même Terreur hexagonale ? Ce n’est pas le choix qui manque…

Où voir ces films ?

Terreur ibérique (Coffret 2 Blu-rays) est disponible chez Carlotta.

DIONNE WARWICK : Make It Easy on Yourself – The Scepter Recordings 1962-1971 (SoulMusic Records/Second Disc)

Les choses ont, assez logiquement, été faites à l’envers : du plus dispensables à l’indispensable. Après la publication de l’intégrale des années Arista (1979-1994, les moins passionnantes) et celle de la période Warner (1972-1977, époque malheureusement la moins connue), SoulMusic publie en cette fin d’été son dernier volume consacré à Dionne Warwick avec les années Scepter.

Étalée sur une décennie, de 1962 à 1971, cette période est à la fois la plus prolifique (14 albums studios en 7 ans !) et la plus fameuse. Donc, par déclinaison, la meilleure. La raison en est l’association quasi-exclusive de la toute jeune chanteuse avec le tandem de compositeurs Burt Bacharach et Hal David, incontestablement le plus talentueux de l’histoire de la pop. Ceci avant que l’inévitable scission entre les ces trois faiseurs de tubes ne se produise (correspondant au moment où la chanteuse ajoutera un « e » à la fin de son nom sous les conseils étranges d’une astrologue).

Célébré depuis très longtemps (grosso modo le milieu des années 1990, moment où l’Easy Listening revient à la mode en Angleterre et passe du statut méprisant de musique pour salle d’attente à celui de son pour hipsters), le catalogue Scepter de Dionne Warwick restait néanmoins difficilement accessible autrement que via quelques albums sortis en catimini dans des séries budgets disponibles aux caisses de supermarchés, quelques belles exhumations américaines ou des imports japonais aussi onéreux que rapidement épuisés.

La publication de cette intégrale est donc une pure bénédiction pour tout amateur de musique pop puisque tout, absolument tout, est ici présent. Seuls sont portées manquantes les versions monos des premiers albums (publiées en bonus de chaque disque au Japon en 2013), mais ceci est un moindre mal.

En gros plus, le présent coffret inclus différentes compilations contenant des inédits, sorties chez Scepter après le départ de Miss Warwick du label (The Dionne Warwicke Story – qui plus est ici agrémenté de 75 minutes inédites – et From Within), deux albums jusqu’ici assez mal représentés en CD (The Magic of Believing, Dionne Warwick in Paris – live hybride contenant ici par chance en bonus les prises studio de certains titres) et un 12e CD bourré de titres rares. Seule la compilation Dionne Warwick’s Greatest Motion Picture Hits (1969) n’est pas ici physiquement représentée, les quelques titres absents ailleurs étant disséminés en bonus sur d’autres CDs.

On passera sous silence le côté cheap, comme dans le cas des deux autres coffrets, du visuels de différents CDs, ainsi que quelques curiosités de remasterisation (la plus flagrante se situant sur le formidable morceau Something Special de l’album On Stage and in the Movies) au vu du tarif très attractif de ce petit objet à la fois très complet et peu encombrant.

Philippe Lombard « Almeria 68 – Des stars, du sable et des larmes »

Bombardée en 1939 par les Allemands, Almeria, capitale de la province du même nom en Andalousie, est laissée à l’abandon par Franco jusqu’au jour où l’endroit devient un décor naturel prisé par Hollywood. David Lean y tournera quelques scènes de Lawrence d’Arabie, juste avant que Joseph L. Mankiewicz n’investisse les lieux pour Cléopâtre, sans doute le film le plus pharaonique, sans mauvais jeu de mots, de l’histoire de cinéma.

Passé ces deux mastodontes, la ville et sa région, en particulier le micro-désert de Tabernas, seront envahis par une multitude de co-productions européennes plus ou moins fauchées, ayant trouvé en ce décor naturel de quoi rendre leurs métrages clinquants. A tel point qu’une industrie locale se met en place afin d’accueillir tous les gens du métier, des réalisateurs aux comédiens en passant par les cascadeurs et autres figurants multi-usage, dans des hôtels grand luxe construits à la hâte. Ceci sans pour autant que cet endroit reculé ne soit facilement accessible autrement que via des routes cabossées.

Le début de l’année 1968 fut sans doute la plus intense de l’activité tumultueuse d’Almeria. Brigitte Bardot est obligée par contrat interposé de s’y rendre pour tourner Shalako, premier film tourné par Sean Connery après l’abandon du rôle de 007. La rencontre entre les deux stars est sensée devenir l’événement du siècle et la presse a bien vendu la soupe. C’était sans compter sur les aléas de la vie, Bardot ayant accepté de faire le film pour s’éloigner de Gunter Sachs, son mari peu impliqué dans leur relation, et sans imaginer la passion dévorante qu’elle vivrait à cette période avec Serge Gainsbourg.

Sur place, BB se console sur l’épaule bienveillante de Stephen Boyd, avec qui elle a tourné dix ans plus tôt, pactise avec Michèle Mercier, venue sur place tourner un western sous la caméra de son pote Robert Hossein, et jouera les rabatteuses pour sa secrétaire, alors placée sous le charme de Michael Caine.

Un illustre réalisateur français bien présent sur son tournage mais incapable de s’impliquer sur son film, des décors détruits par erreur faute à des ondes communes de talkie-walkie entre deux productions, un set sensé partir en fumée pour une scène finale apocalyptique d’un film finalement brûlé à la hâte sous les caméras furtive d’un autre, une jeune comédienne britannique venue enterrer son mariage avec un illustre compositeur sans se douter qu’elle rencontrera, quelques mois plus tard, un autre tout aussi talentueux noyant son malheur à Paris car abandonné par la plus belle femme du monde. Telles sont les histoires passionnantes qui se télescopent dans Almeria 68.

Grand spécialiste des anecdotes de tournage compilées dans de réguliers et agréables ouvrages, Philippe Lombard sort de sa zone de confort avec le présent volume. Portant ce projet en tête depuis longtemps, le très sympathique journaliste du Septième Art le concrétise enfin. Le moins que l’on puisse dire est que l’adjectif sur lequel l’ouvrage est vendu (« tarantinesque ») n’est pas usurpé.

Se dévorant en quelques heures, les quelques 240 pages du livre transporteront le lecteur au cœur d’un film imaginaire, qui s’intitulerait en toute logique Il était une fois à Almeria. A réserver toutefois, mais c’est une évidence, aux amoureux de cette période charnière que fut la fin des 60s pour le cinéma mondial.

Philippe Lombard « Almeria 68 – Des stars, du sable et des larmes » (Hugo Doc, 238 pages)

EVANOUIS (WEAPONS, Zach Cregger, 2025)

Une nuit, à 2 h 17 du matin à Maybrook, une petite ville de Pennsylvanie, 17 enfants de la même classe quittent simultanément leur domicile sans laisser de trace. Alex (Cary Christopher), un enfant timide, ne fait pas partie de cette disparition collective. Son enseignante, l’instable Justine Gandy (Julia Garner), est très rapidement écartée des suspects par la police, et ce malgré les soupçons que laissent peser sur elle la population de la ville…

Les films d’horreurs ont tellement le vent en poupe depuis quelque temps qu’il semble désormais impossible de passer un mercredi sans en voir un nouveau apparaitre sur nos écrans. Tandis que beaucoup se contentent de remplir leur contrat en proposant leur lot de jump scares à un public ciblé, d’autres parviennent à se distinguer via une certaine originalité parfois payante (Bring Her Back, Together), parfois désolante (Sinners, 28 Years Later).

Sorti au milieu de cette multitude de métrages sans matraquage publicitaire particulier il y a deux semaines, Weapons (stupidement retitré Evanouis sur les territoires francophones du Vieux Continent – le Québec ne faisant une fois n’est pas coutume pas mieux avec le libellé Heure de disparition) avait toutes les raisons du monde pour n’être qu’une petite sortie confidentielle parmi d’autres, quittant en moins de temps qu’il ne faut pour le dire nos écrans.

Par chance, un succès inespéré du film au box-office US et une curiosité bienvenue de la part des spectateurs auront permis à cette bobine à la fois originale et ultra flippante de s’ancrer solidement dans nos salles, au point d’être le succès inattendu de l’été. La chose est d’autant plus étonnante que Weapons ne répond effectivement que de très loin aux sacro-saints critères du genre.

Les traditionnels jump scares laissent ici place à de longues séquences souvent dénués de dialogues, voire de musique, renforçant l’impact émotionnel du film, tout en plongeant le spectateur au cœur de l’intrigue en même temps que les protagonistes. Avec un rythme lent renforcé pour une mise en scène sobre mais très classe, le réalisateur Zach Cregger (Barbare) immerge l’audience dans cette curieuse histoire d’enfants disparus, faisant certes appel au surnaturel mais dans laquelle on évite – dieu merci – les sempiternels boogey men et autres démons possédés.

Reposant en grande partie sur les épaules de Julia Garner, comédienne habituée des films horrifiques généralement crispante (le navrant Apartment 7A – prologue totalement vain de Rosemary’s Baby, le consternant dernier Wolf Man), Weapons doit également beaucoup à Amy Madigan, visage récurant du cinéma populaire du début des années 1990 (Fields of Dreams, Uncle Buck, The Dark Half), chelou à souhait ici, et au jeune Cary Christopher, déjà vu dans plusieurs séries, qui semble désormais promu à un bel avenir.

Rarement un film de genre, qui plus est issu d’un grand studio, n’aura réussi à autant faire peur. Car oui, Weapons est une œuvre vraiment flippante. Parfait croisement entre Halloween de John Carpenter pour son ambiance, Twin Peaks de David Lynch pour son atmosphère, un film de Tarantino pour son humour transgressif et sa narration chapitrée (définitivement le détail faussement anodin faisant ici toute le différence) et une métaphore assez cinglante en sous-texte sur les dérives actuelles de notre société occidentale, le film de Zach Cregger dépasse de très loin ce qu’on serait en droit d’attendre d’un tel produit. Un film d’auteur ? D’une certaine manière oui. En tous les cas, assurément un des meilleurs longs métrages de l’année.

Evanouis (Weapons) de Zach Cregger, avec Julia Garner, Josh Brolin, Alden Ehrenreich, Amy Madigan, Cary Christopher, Benedict Wong, Etats-Unis, 2h08. Actuellement sur les écrans.