
Au rayon des énigmes musicales, ce disque en est une remarquable. Les informations à son sujet étant difficiles à confirmer, l’exposé suivant est donc à prendre au conditionnel.
Fier du succès fracassant du film Alfie et venant de réaliser son premier James Bond (On ne vit que deux fois), le cinéaste britannique Lewis Gilbert se voit offrir un pont d’or par la Paramount pour réaliser l’adaptation du prochain livre de Harold Robbins, auteur américain restant encore aujourd’hui comme l’un des auteurs les plus lus à travers le globe (750 millions de livres vendus, alors que l’écrivain reste totalement inconnu en France).
Robbins étant l’écrivain à succès au milieu des années 1960, les droits de son futur livre The Adventurers, dont il n’a pas encore écrit une ligne, sont vendus au producteur Joseph E. Levine qui s’associera, au vu de l’ampleur du projet d’adaptation cinématographique, avec la Paramount, à ce moment-là au bord de la faillite.
Écrit par Robbins himself, le premier scénario du film est rejeté par Lewis Gilbert. Motif : trop sombre et violent pour se voir transposé en Epic, genre ayant connu ses heures de gloire 10 ans plus tôt, lui aussi en perte de vitesse à l’aube des 70s (ceci n’empêchera pourtant pas les majors de continuer à produire des fours retentissants jusqu’en 1973).
Charcuté d’une trentaine de minute à la hâte par le studio suite à des séances-tests catastrophiques, expurgé de son côté « trashy » (Aznavour ayant une garçonnière déguisée en chambre de torture moyenâgeuse, pas possible ? vérifiez donc pour voir…), The Adventurers restera pourtant dans les annales pour être le premier (le seul ?) film dont l’avant-première devant l’équipe de tournage et un parterre d’invités prestigieux se fera… à bord d’un Boeing 747 en plein vol, lui-aussi en inauguration ! Une double-baptême assez saugrenu il faut bien le dire, mais tellement surréaliste qu’on aurait adoré y assister.
Autre étrangeté : la bande originale du film est confiée à Antonio Carlos Jobim. Ce sera le seul « soundtrack » américain de sa carrière. On est d’ailleurs étonné par la tenue très classique, pour ne pas dire académique, de l’ensemble. Surtout quand on sait qu’Eumir Deodato tenait ici la position de producteur des sessions, mais aussi de compositeur de certains thèmes (son apport a sans doute été plus important qu’on ne le pense, une phrase-bateau, placée en fin de générique du film, semble attester de la véracité de la chose). Autre curiosité : certaines musiques de source (comprendre : des morceaux que les personnages entendent en même temps que le spectateur) sont à mettre au crédit de Gianni Ferrio.

Si le disque de la bande originale du film n’est pas passé à la postérité, il aura largement servi l’album Tide de Jobim, produit par Deodato la même année, plusieurs thèmes composés pour The Adventurers ayant été réutilisés/réarrangés pour l’occasion. Pourtant, la meilleure déclinaison musicale du travail de Jobim pour The Adventurers se situe ailleurs encore.
Sans doute déçu d’avoir été écarté de l’adaptation de son ouvrage, Harold Robbins produit de son côté un album en utilisant directement son patronyme comme argument de vente, mais aussi le titre et l’iconographie du film, sans doute afin mieux brouiller les pistes.
Egalement vendu donc comme étant la musique du film de Lewis Gilbert, cet OVNI, chapeauté par un Quincy Jones au meilleur de sa forme (avec également la complicité de personnalités indispensable de la scène soul-funk US, telles que Dave Grusin et J.J. Johnson), est en majeure partie constitué d’appropriations groovy assez incroyables du travail de Jobim. Seule une plage (Coming and Going, assurément la plus culte) est une composition originale.
La redécouverte aujourd’hui de la présente pépite met aussi et surtout à jour une énorme supercherie, visiblement encore peu connue du grand public : la deuxième plage du disque (Go Down Dying) semblera en effet familière aux aficionados d’albums incontournables des années 1990, puisqu’elle servira de matrice à Human Behaviour, le premier tube de Björk, qui ouvre Debut, son premier album ! Et sans grande surprise, la composition de ce titre archi-connu est attribuée à la chanteuse islandaise et Nellee Hooper, figure incontournable de la production musicale britannique de l’époque. Aucune mention du travail d’Antonio Carlos Jobim ou de Quincy Jones n’apparaissent dans les crédits de l’album de Björk…
Le fameux seul titre original de l’album (avec la complicité vocale de la comédienne Sally Kellerman), à ne pas mettre entre toutes les oreilles :
Le titre sans lequel Björk n’aurait peut-être pas connu un début de carrière aussi fracassant :