MEKTOUB, MY LOVE : CANTO DUE (Abdellatif Kechiche, 2025)

Sète, fin de l’été 1994. Amin (Shaïn Boumedine) abandonne ses études de médecine pour tenter de se lancer dans le cinéma, tandis qu’Ophélie (Ophélie Bau) est tiraillée entre Clément, l’homme avec qui elle doit se marier, et Tony (Salim Kechiouche), le cousin d’Amin. L’arrivée impromptue dans le restaurant familial de Jessica Patterson (Jessica Pennington), célèbre comédienne de série télé américaine, et de son mari producteur (André Jacobs) va chambouler le destin d’Amin en imposant ses propres règles…

S’il y a bien un film que l’on espérait plus, c’est celui-là. Retour sur une affaire des plus cocasse. Suite à La vie d’Adèle, couronée par la plus prestigieuse des récompenses cinématographiques cannoise (à défaut d’être la plus représentatives d’œuvres impérissables), Abdellatif Kechiche se lance, à l’été 2016, dans le tournage pharaonique de Mektoub, My Love, dont le premier volet (Canto Uno) arrive sur nos écrans au printemps 2018.

Librement inspiré d’un ouvrage de l’insupportable François Bégaudeau, Mektoub, My Love s’articule comme la longue chronique nostalgique d’un été pas comme les autres. Celui où l’inconscience adolescente va inconsciemment laisser place à l’âge adulte. Quelques mois de chaleur où l’on accompagne une poignée de protagonistes soudés par des liens d’amitié profonds, mais qui vont inévitablement évoluer au regard des changements personnels qu’opèreront naturellement les personnages afin d’entrer dans leur vie d’adulte.

Du roman de l’infâme donneur de leçon qu’est Bégaudeau, il ne reste heureusement pas grand-chose. Chronique estivale suivant les marivaudages amoureux de caractères hautement attachants car identifiables, Mektoub, My Love : Canto Uno évoque aussi bien le cinéma d’Eric Rohmer que celui de Pascal Thomas ou Jacques Rozier. De manière bien plus touchante que François Ozon, Abdellatif Kechiche parvient à livrer un message assez universel, là où le réalisateur d’Eté 85 n’arrive jamais à faire passer ses films avant une forme d’auto-centrage, à la longue usant.

La fin de Mektoub, My Love : Canto Uno laissait présager d’une suite, soutenue par les déclarations du réalisateur, dont la manière de travailler commence déjà, en 2018, à faire jaser. On lui reproche ses humeurs excessives et une manière évidente de pousser ses comédiens dans leurs ultimes retranchements. Des acteurs qui parfois, à bout de force, se laissent semble-t-il mener là où ils n’ont pas envie d’aller.

Les vrais problèmes arriveront lors de la projection cannoise d’Intermezzo, volet annoncé comme « intermédiaire » de Mektoub, My Love, servant de lien entre le premier et un second opus à venir. C’était en mai 2019. D’une durée excessive (3h32 !), avec une action réduite au minimum (le film se passe quasi entièrement dans une boîte de nuit), incluant des scènes de sexe non-simulées, cet interlude ne sortira jamais en salles. Un peu comme si la seule et unique projection du film l’avait suicidé en le rendant inaccessible à tout jamais.

La faillite de la société de production de Kechiche, assujetti d’une plainte (classée sans suite) pour agression sexuelle, semblaient avoir eu raison du réalisateur et de son œuvre pharaonique, jusqu’à l’annonce de la sélection officielle du Festival de Locarno de cette année, où Canto Due fut bien projeté et, qui plus est, gratifié de retours très positifs.

Sorti en toute discrétion aujourd’hui dans quelques salles romandes, sans la moindre publicité et avec un nombre ultra-restreint de projections, Canto Due est pourtant le film le plus intéressant de cette fin d’année.

Le temps a passé et on sent bien qu’Abdellatif Kechiche a, au vu des événements de ces dernières années, changé sa manière de faire. Si aucune image n’a été retournée depuis 2016, la sélection de celles utilisées pour ce Canto Due est, à évidence, très différente celles que l’on aurait retrouvé dans le film si ce dernier était sorti dans la continuité du premier.

Kechiche continue de filmer en très gros plans des filles s’adonnant au plaisir de la chair, au sens premier du terme, mais l’ensemble est bien plus sobre que ne le fut le très charnel Canto Uno. Ceci dessert-il l’ensemble ? En définitive, pas vraiment. En changeant partiellement de point de vue, Abdellatif Kechiche évite l’aspect inévitablement redondant de son œuvre, dont certains gimmicks restent néanmoins apparents. Normal : on suit l’évolution, sur un espace-temps restreint, des mêmes personnages.

L’arrivée de nouveaux protagonistes chamboule néanmoins partiellement l’équilibre de l’ensemble, faisant virer une chronique estivale vers quelque chose de plus profondément dramatique. Seul hic : le final du film laisse cette fois-ci le spectateur pantois face à une vraie fin d’épisode (là où Canto Uno optait très judicieusement pour la fin ouverte dont chacun pourrait imaginer la suite). Un Canto Tre semble donc être, dans le cas présent, plus qu’une évidence, une nécessité. Reste à savoir si nous devrons une nouvelle fois attendre dix ans pour le voir arriver jusqu’à nous…

Mektoub, My Love : Canto Due d’Abdellatif Kechiche, avec Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche, Jessica Pennington, Andre Jacobs, Alexia Chardard, Hafsia Herzi, France, 2h19.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *