SANS RIEN SAVOIR D’ELLE (SENZA SAPERE NIENTE DI LEI, Luigi Comencini, 1969)

La mort d’une vieille femme, quelques heures avant le renouvellement de sa prime d’assurance vie, éveille les soupçons de Nanni Brà (Philippe Leroy), un avocat au service de la compagnie. Ses investigations vont l’amener à entrer en contact avec les membres de la famille dysfonctionnelle de la défunte et de se rapprocher de Cinzia (Paola Pitagora), la fille cadette, en rupture avec ses frères et sœurs…

Réalisateur impossible à ranger dans une case, ayant une filmographie certes hétéroclite mais très cohérente, Luigi Comencini reste, tout comme Dino Risi, un cinéaste essentiel mais dont l’aura n’arrivera jamais à rivaliser avec les maitres d’un néo-réalisme certes innovant, mais qui reste malgré tout très figé dans une époque. Exactement l’inverse donc de l’œuvres des deux cinéastes précités.

Sans rien savoir d’elle, tourné en 1969 entre deux films ayant plus marqués les esprits (Casanova, un adolescent à Venise et L’argent de la vielle) était passé jusqu’ici sous les radars francophones, le film n’ayant jamais été exploité en Hexagone.

Annoncé comme un polar fonctionnant selon les codes du giallo, porté par Philippe Leroy, comédien français ayant fait l’essentiel de sa carrière en Italie principalement dans le cinéma de genre, cette curiosité avait de quoi éveiller l’intérêt grandissant des aficionados de l’âge d’or du cinéma d’exploitation transalpin.

Un giallo réalisé par Luigi Comencini ? La chose aurait été trop simple. Si partant effectivement sur les codes du polar comme il s’en tournait des tonnes à la même époque en Italie, Sans rien savoir d’elle brouille rapidement les pistes pour se profiler comme un drame amoureux intense, ceci avant de bifurquer une nouvelle fois pour aborder les méandres de la psyché humaine, le tout avec une thématique en filigrane très moderne pour l’époque.

Habitué aux rôles musclés, Philippe Leroy trouve ici une nuance de jeu qu’on ne lui connaissait pas. Un peu comme Belmondo lorsqu’il abordait à une époque où son statut de star étaient déjà confirmé, des personnages faisant appel à ses émotions plutôt qu’à son physique (L’héritier de Philippe Labro, Le corps de mon ennemi d’Henri Verneuil).

Magnifié par une bande originale à la fois délicate et intense d’Ennio Morricone, qui est d’ailleurs pour beaucoup dans l’impact émotionnel de l’œuvre (et dont les deux principaux thèmes seront plagiés par leur auteur pour Sans mobile apparent de Philippe Labro et Harcèlement de Barry Levinson), Sans rien savoir d’elle réussi le pari très difficile de rester en équilibre malgré le carcan d’un genre très défini et les nombreuses influences qui ponctuent le métrage. Peut-être le film le plus étonnant de Luigi Comencini.

Où voir le film ?

Sans rien savoir d’elle est disponible en combo Blu-ray+DVD dans la collection Dolce Italia de l’éditeur Les Films du Camélia.

Restauré par la Cinémathèque de Bologne, la copie 4K utilisée pour cette édition affiche des couleurs chaudes, sans doute pas parfaitement en adéquation avec la photographie originale de Pasqaulino De Santis, mais qui siéent parfaitement avec l’ambiance automnale du métrage. A noter que cette édition HD est à l’heure actuelle la seule disponible à travers le globe.

Le film n’ayant jamais été doublé, seule une version originale sous-titrée est disponible. En bonus, on trouvera, en plus d’interviews récentes absolument passionnantes de Paolo Pitagora (qui partageait l’affiche avec Jacques Brel dans Les assassins de l’ordre de Marcel Carné), Francesca Comencini (qui s’exprime dans un français parfait) et Philippine Leroy-Beaulieu (la fille de Philippe Leroy), trois des premiers courts-métrages de Luigi Comencini parfaitement restaurés.

Une BO toute douce, qui est pour beaucoup dans l’impact émotionnel du film, pour se familiariser avec ce délicat objet filmique :

MATERIALISTS (Celine Song, 2025)

Employée dans une agence de rencontres new-yorkaise, Lucy (Dakota Johnson) est une « matchmakeuse ». Ayant pour tâche de dénicher le meilleur parti possible pour des clients exigeants, elle continue à trainer son célibat, tout en gardant de forts liens d’amitié avec John (Chris Evans), son amour de jeunesse. Transgressant la règle définissant qu’il ne faut jamais mélanger plaisir et travail, Lucy fini par accepte un rendez-vous Harry (Pedro Pascal), l’héritier d’une grande famille…

Rares sont les films qui me posent un dilemme ne me permettant pas de me positionner illico. Donner son avis un tant soit peu argumenté et à chaud à propos d’un film est un exercice pas si difficile que ça et, soyons honnête, dont tout le monde s’en fout éperdument (n’en déplaise à certains gardiens du temple, encore et toujours convaincus d’avoir une quelconque influence sur une audience).

La question du jour est donc de savoir si Materialists, premier long métrage américain de Celine Song (Past Lives), est un nanar de première, le film le plus putassier de l’année ou, pourquoi pas, une comédie romantique un peu moins futile qu’elle ne pourrait le laisser croire.

A l’issue de la vision du métrage, je me tourne tout naturellement vers ma moitié, de nature moins ronchon que son mari et, de manière générale, beaucoup plus tolérante que moi avec des films balisés comme des autoroutes helvétiques.

Je m’attendais donc, en lui disant que mon premier sentiment à propos de Materialists était de ne pas savoir si je venais de voir le film le plus faux-derche du siècle ou quelque chose de potentiellement viable, de la voir à la fois dépitée « devant le niveau navrant du dialogue » (dixit) et un minimum énervé d’avoir « perdu deux heures de son temps devant une telle bêtise » (re-dixit). Des arguments que se défendent plus que largement.

Moi qui comptais passer, une fois n’est pas coutume, pour un gentil et me trouver une alliée dans une cause si ce n’est désespérée, totalement vaine, j’en ai pris pour mon grade.

Certes je déteste cordialement Pedro Pascal, sorte de croisement entre Mason Capwell et Burt Reynolds dont le succès continue à m’étonner, et le glamour de Dakota Johnson me renvoie illico au navrant Cinquante nuances de Grey, assurément le métrage le moins érotogène du troisième millénaire, mais j’avoue avoir, si ce n’est pris un plaisir flagrant, trouvé dans cette romance très ancrée dans son époque un tant soit peu de vraisemblance.

Oui, les apparences, aussi fabriquées soient-elles, ne peuvent combler une sensation de vide qu’un bref instant. Et c’est tout ? En substance, oui. Rien de nouveau sous le soleil donc ? Pas vraiment. Si ce n’est peut-être que Materialists pourra potentiellement servir de détonateur pour quelques personnes plus que jamais obnubilées par les signes extérieurs de richesses. C’est maigre certes, mais pour ce genre de « produit » produit en 2025, c’est déjà pas si mal…

Où voir le film ?

Materialists est disponible en Blu-ray et DVD chez Sony Pictures (distribution Suisse : Rainbow Home Entertainment)

LIFE OF CHUCK (THE LIFE OF CHUCK, Mike Flanagan, 2024)

Alors que le monde semble s’effondrer, que les catastrophes naturelles s’enchaînent, qu’Internet est coupé, des panneaux publicitaires remercient un certain Chuck pour ses 39 merveilleuses années passées. Pourtant, personne ne semble connaitre cet homme d’apparence ordinaire…

Au mois de mars 1995 sortait dans l’indifférence générale sur nos écrans Les évadés de Frank Darabont, adaptation d’une nouvelle de Stephen King. 30 ans plus tard, ce flop retentissant est devenu le film le mieux noté de la plateforme IMDb.

Au mois de juin 2025 sortait dans nos cinémas, une nouvelle fois dans l’indifférence globale, Life of Chuck, d’après un court roman de Stephen King. Sans tirer de plan sur la comète, et sans mauvais jeu de mots au regard du sujet du film, fort est à parier que le film de Mike Flanagan gagnera en estime avec les années.

Appartenant aux œuvres de King ne faisant pas directement appel au fantastique, Life of Chuck est sans cesse comparé à Stand by Me. On pourra légitiment lui trouver plus de points communs avec Cœurs Perdus en Atlantide (Hearts in Atlantis, Scott Hicks, 2001), autre adaptation d’une nouvelle de Stephen King s’étant soldée par flop retentissant, et qui n’a malheureusement pas eu droit jusqu’ici à une quelconque réhabilitation jusqu’ici.

Mais revenons au film de Mike Flanagan, réalisateur s’étant déjà par deux fois dans le passé intéressé à l’œuvre de Stephen King (Jessie, roman jugé comme impossible à adapter en 2017 et Docteur Sleep, suite peu convaincante de Shining, en 2019).

Adorant jouer avec les possibilités techniques actuelles (il l’avait déjà brillamment fait dans Ouija : Origins of Evil en poussant le vice jusqu’à ajouter à son film de faux points de repère pour les changements de bobines), Flanagan joue ici avec différents formats d’image en fonction des trois chapitres, situés à des époques différentes, du film.

Si l’astuce fonctionne admirablement au cinéma, elle se fait plus discrète en vidéo. En effet, tandis que le formatage intelligemment modifié de l’ensemble pour le petit écran évite l’effet « boite dans la boite » (comme ce fut le cas pour d’autres métrages utilisant le multi-format, tels que L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux), il fait presque passer inaperçu un subterfuge apportant pourtant concrètement un plus à l’esthétisme de l’œuvre.

Difficile d’en dire plus sur Life of Chuck sans en dire trop. Ajoutons simplement que si toute la promotion du film est axée Tom Hiddleston, le comédien britannique en est l’axe central sans pour autant être omniprésent à l’écran.

Œuvre faisant appel à des notions telles « l’infiniment grand et l’infiniment petit » comme une perception plus que potentielle, parabole universelle sur le sentiment de « déjà vu » et la possibilité de déconsidérer une vanité très ancrée dans nos sociétés occidentales afin de concentrer ses efforts sur des valeurs fondamentales intrinsèques, Life of Chuck réussi avec une simplicité déconcertante tout ce que le très ambitieux Cloud Atlas n’était parvenu qu’à effleurer.

Film qui restera à coup-sûr comme l’un des meilleurs de l’année cinématographique 2025, Life of Chuck mettra peut-être du temps avant d’être considéré comme le métrage essentiel qu’il est. La consécration du film de Mike Flanagan n’attend peut-être que vous pour devenir concrète…

Où voir le film ?

Première publication de l’éditeur Nour Films, le Blu-ray de Life of Chuck est de très bonne tenue et cible l’essentiel. Le making of et les interviews présentées en bonus vous donneront un complément passionnant sur la genèse du film. Les premiers exemplaires du produit contiennent également en cadeau deux goodies papier s’avérant, une fois n’est pas coutume, plus qu’un simple gadgets, des petits objets fort utiles.

LE LOCATAIRE (THE TENANT, Roman Polanski, 1976)

Trelkovsky (Roman Polanski), un homme timide et réservé, s’intéresse à louer un appartement vacant dans un vieil immeuble parisien. Lors de la visite, la concierge (Shelley Winters) lui apprend que Simone Choule, l’ancienne locataire, a tenté de se suicider sans raison apparente en se jetant de la fenêtre de l’appartement. Très tatillons, les divers habitants de l’immeuble tiennent particulièrement au calme et à la respectabilité de l’endroit. Peu à peu, Trelkovsky commence à penser que ses respectables voisins lui veulent du mal…

Dernier volet de la « trilogie des appartements maudits », après Répulsion (1964) et Rosemary’s Baby (1968), Le locataire est aussi celui qui mettra le plus de temps avant d’être considéré comme une pierre angulaire dans la filmographie de Roman Polanski.

Après Londres et New York, le cinéaste installe son ultime intrigue dont l’enfermement est la clé de voute au cœur de Paris. Afin de mieux brouiller les pistes, Polanski attribue les principaux rôles des personnages intempestifs (la concierge, le propriétaire de l’immeuble et la plus influente des locataires) à des comédiens américains sur le déclin. Un peu comme s’il avait voulu raccrocher ce récit terriblement noir à son passé hollywoodien chahuté.

Là où Répulsion et Rosemary’s Baby jouaient sur l’interaction concrète avec l’entourage proche du protagoniste central, Le locataire s’affranchit de cet aspect palpable pour encore mieux surprendre le spectateur. Délestant le côté clairement conspiratoire du roman de Roland Topor dont il s’inspire le présent film (rendant chaque confrontation entre Trelkovsky et ses voisins possiblement fantasmagorique), Polanski laisse malgré tout à chaque instant planer le doute. Un peu comme si le réalisateur avait mis en chantier Le locataire dans l’unique but de satisfaire les aficionados de Rosemary’s Baby qui auraient (à juste titre peut-être) regretté que le dénouement de ce film référence, où l’horreur est à chaque instant suggérée via son incrustation dans un banal quotidien contemporain, soit justement trop explicite et concret.

Certes, il y a fort à parier que Trelkovsky ne soit qu’un schizophrène imprégné par le lourd passé de l’endroit qu’il habite. Mais pourquoi dès lors ce jeune exilé, qui a sans doute tout comme Polanski subi les affres d’un douloureux passé (l’incarnation du personnage par le cinéaste n’a évidemment rien d’un hasard), s’acharne-t-il à vouloir à tout prix rester dans son appartement, alors que sa clairvoyance paranoïaque l’invite à fuir au pas de course ?

Se terminant par une courte séquence remettant en cause l’intégralité des certitudes que le spectateur s’est peu à peu forgées, Le locataire ouvre soudainement une autre porte. Une autre réalité parallèle potentielle, qui offre d’un coup au récit une possible dimension surnaturelle, jusque-là volontairement écartée par Polanski. Une ultime manière sans doute d’encore plus déstabiliser l’audience. Et ça marche !

Prémisse totalement réussie (et ce malgré le fait que Roman Polanski considère Le locataire comme « une expérience ratée mais intéressante ») de tout ce que David Lynch s’acharnera à mettre en place dans sa filmographie, Le locataire est définitivement l’œuvre la plus sous-estimée de son réalisateur. La pièce maitresse d’un puzzle où chaque élément afficherait un traumatisme de Polanski, cinéaste aujourd’hui à juste titre sujet à controverse, mais dont la parcours filmique n’aurait sans doute pas été aussi passionnant si l’homme avait connu une destinée « normale »…

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Le locataire est vraiment le film de grand studio de Roman Polanski qui fut le plus mal représenté sur support domestique pendant de nombreuses années. En effet, mis à part un DVD américain et un homologue français tardif nanti d’un riche livret, rien au catalogue de la Paramount, détentrice des droits au niveau mondial.

Le film fait son apparition aux Etats-Unis en Blu-ray sous l’effigie de Shout Factory en 2020 avec une VF. Problème : le disque est bloqué en « Region A ». Donc à moins d’être munis d’un lecteur américain, impossible de le lire chez nous. Ceci sans parler du fait que la compression du master utilisé y était calamiteuse.

Le film ressortait chez Vinegar Syndrome fin 2024 en combo UHD 4K + Blu-ray. Si le master est cette fois-ci parfait et le coffret limité très beau (présentant une fausse fenêtre aimantée laissant apparaitre le visage de Polanski une fois ouvert), le Blu-ray est toujours verrouillé uniquement pour les lecteurs US.

Par chance, nous pouvons aujourd’hui compter sur la bienveillance de l’éditeur Carlotta, toujours attentif à fournir à ses clients des produits de haut vol. On conseillera en priorité le coffret « Edition Prestige limitée », regroupant à la fois la version UHD et Blu-ray du film. Une bonne partie des bonus des éditions ricaines est reprise et d’autres exclusifs font leur apparition, avec en bonus des goodies très sympathique (affiche, jeu de photo, reproduction du dossier de presse original).

Attention : cette mouture, limitée à 2000 exemplaires, est déjà en rupture de stock à peu près partout. En se dépêchant, il est toutefois possible d’en dénicher un exemplaire via les deux sites de vente helvétiques principaux en matière de support physique. Mais ne tardez pas trop….

LA VIE, L’AMOUR… LES VACHES (CITY SLICKERS, Ron Underwood, 1990)

Mitch (Billy Cristal), Phil (Daniel Stern) et Ed (Bruno Kirby), trois amis approchant de la quarantaine, sont en pleine crise existentielle. Pour l’anniversaire du premier, ses deux potes ont l’idée de le convier à un séjour de deux semaines auquel ils se sont inscrits. But du voyage : conduire un troupeau de vaches du Nouveau-Mexique au Colorado. Mais les pieds-tendres vont rapidement réaliser que leur quinzaine de détente sera bien plus laborieuse qu’imaginée…

On se souvient tous d’une interview de Billy Cristal au moment de la sortie européenne de La vie, l’amour… les vaches, où le comédien découvrait, mort de rire, la traduction française du titre du film, il faut bien le dire totalement aux fraises. City Slickers, le nom original, que l’on pourrait simplement traduire par « Les citadins », est évidemment bien plus parlant et évite un mauvais amalgame avec une comédie potache, ce que le film de Ron Underwood n’est absolument pas.

Passé relativement inaperçu dans nos salles obscures à l’époque, le métrage trouvera son vrai public grâce à son exploitation en vidéoclub. En revoyant le film aujourd’hui, on est bien obligé de constater que City Slickers véhiculait, à une époque où la remise en question personnelle n’était pas légion, un joli message en filigrane, qui nous était passé au-dessus.

A travers les aventures rocambolesques de nos trois gaillards, c’est bel et bien un portrait clairvoyant bien qu’amusé de la crise de la quarantaine qui nous est dépeint ici, de la perte de repères au recentrage obligé que toute personne arrivant au milieu de son existence doit opérer afin de pouvoir, du mieux possible, atteindre une certaine sagesse.

Carton aux Etats-Unis, le film aura droit à une suite, L’or de Curly, également très sympathique, qui ne connaitra qu’une discrète exploitation cinéma durant l’été 1994 sur territoire francophone européen. Depuis, mis à part un DVD sorti chez Warner aux Etats-Unis (avec une vraie VF et les sous-titres idoines) à la grande époque du support physique, cette séquelle a totalement disparu des radars éditoriaux francophones. Un combo réunissant les deux métrages aurait d’ailleurs pu être une intéressante idée éditoriale…

Où voir le film ?

Spécialisé dans la réédition de films américains populaires des années 1980 et 90, l’éditeur Bubbel Pop’ reprend l’intégralité des bonus de l’édition MGM collector américaine (uniquement sur le Blu-ray) et y ajoute 2 modules produits à l’occasion de la sortie de ce petit coffret Blu-ray+DVD ainsi qu’un livret signé par Christophe Lemaire. A noter qu’une édition limitée, vendue exclusivement dans les magasins FNAC, contient en plus différents goodies (affiche, cartes postales, reproduction du dossier de presse, bandana).

DRIVER (THE DRIVER, Walter Hill, 1978)

A Los Angeles, un homme mystérieux et solitaire surnommé « le Cow-boy » (Ryan O’Neal) est celui que tous les gangsters s’arrachent. Passé maître dans l’art de semer la police en voiture lors de braquages à hauts risques, il s’associe au besoin les services d’une énigmatique et ténébreuse beauté (Isabelle Adjani), parfaite comme alibi. Bien décidé à le coffrer, un flic tenace (Bruce Dern) le traque sans relâche…

En revoyant The Driver, on a beaucoup de peine à se dire que ce film-là fut largement éreinté par la critique de l’époque de sa sortie. Epuré à l’extrême, scénarisé sur du papier à musique, porté par un casting imparable et suranné par son hypnotique bande originale, le deuxième long métrage de Walter Hill a tout d’un film parfait.

Certes, Walter Hill repique certains éléments du scénario qu’il avait écrit pour Guet-apens (1972). Il tentera d’ailleurs, sans y parvenir, de convaincre Steve McQueen de rejoindre le casting du film, mais ce dernier ne souhaite pas apparaître dans une œuvre où l’influence de Bullitt est palpable à chaque seconde. Tourné essentiellement de nuit avec maints problèmes de production, Driver est pourtant un métrage dont les inconvénients finiront par devenir des atouts majeurs.

Abonné aux personnages sympas dans des films jugés trop gentillets, Ryan O’Neal endosse mieux que personne ce personnage de chauffeur énigmatique et taiseux, en apparence tout doux tout miel mais qui, tel un félin, sait exactement à quel instant laisser jaillir ses pulsions. Le parfait miroir inversé en somme du flic qu’incarne lui aussi à la perfection Bruce Dern, crâneur qui ne peut s’empêcher de la ramener inutilement.

Premier et seul film intéressant dans la carrière américaine d’Isabelle Adjani, The Driver permet à l’actrice d’éviter le sempiternel rôle caricatural de la « french girl ». Mystérieuse à souhait, jouant sur la retenue et affichant une beauté froide sans égale, la Française, alors âgée de 23 ans seulement, offre une performance en forme de parfait alter ego féminin de Delon dans Le samouraï (1967).

Jouant avec les pare-brise de bagnoles comme la réflexion d’une arme blanche, utilisant comme personne des endroits peu reluisants de L.A. comme décor, s’amusant avec les perspectives dans d’interminables scènes où la caméra, immobile, se « contente » d’attendre l’arrivée des protagonistes, Walter Hill signait ici une œuvre de référence qui, avec le temps, allait grandement gagner en estime et inspirer les cinéastes contemporains. Définitivement le film injustement boudé des seventies.

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Sorti une première fois chez Studiocanal en 2015, Driver fut réédité fin 2022 dans une prestigieuse édition Steelbook 4K+Blu-ray. Epuisée, ladite édition a laissé place à un simple DVD peu compatible avec les standards actuels.

A noter que les versions 4K+Blu-ray et Blu-ray simple sont encore disponibles en Angleterre, avec des disques identiques en tous points. Il est également possible de dénicher sur différents sites de revente un Blu-ray paru dans différents pays (Australie/Allemagne/Italie/Norvège/Suède/Finlande) chez Universal il y a dix ans et qui contient, ô miracle, une version française et les sous-titres idoines.

Attention : évitez à tout prix un import US de The Driver : le film y est amputé, sur toutes les éditions disponibles outre-Atlantique, d’une scène essentielle entre Ryan O’Neal et Isabelle Adjani.

IN BED WITH MADONNA (MADONNA: TRUTH OR DARE, Alek Keshishian, 1991)

Lorsque le film In Bed with Madonna débarque sur les écrans en mai 1991, tout le monde s’attend à voir ce qui a été annoncé. A savoir une capture filmique de la tournée Blonde Ambition Tour, show pharaonique de la superstar, alors au top de sa carrière artistique.

On se souvient d’ailleurs très bien des spectateurs déconcertés, voire carrément mécontents, venant à la caisse des cinémas pendant la projection pour demander si on ne serait pas en train de leur diffuser le mauvais film. Considéré par beaucoup comme une « tromperie sur marchandise », notamment à cause de son titre européen mensonger, In Bed with Madonna ne laissa que peu de souvenirs autres que mitigés dans les mémoires.

En cause sans doute également, l’exploitation du film majoritairement en français dans nos salles, qui faisait carrément passer cette curiosité pour un véritable OVNI puisque, sauf erreur, il s’agit là de la seule tentative de doublage réel d’un documentaire musical. Comprendre : une VF identique celle d’un film de fiction et non, comme traditionnellement pour ce genre de produit, réalisé à l’aide d’une voix-off venant doubler, façon commentaire, le propos original.

Et il faut bien admettre que d’entendre Madonna doublée dans la langue de Molière par Maïk Darah, voix ultra-identifiable attitrée, entre autres, de Whoopi Goldberg et Courteney Cox, ça pique méchamment les oreilles ! (La VHS vendue quelque mois plus tard était d’ailleurs la première du marché à proposer, sur la même K7, le film en VF suivi de sa VOst).

Se risquer à revoir aujourd’hui Truth or Dare représentait donc un pari pas forcément risqué, mais au minimum hasardeux. Passé le cap d’une trentaine de secondes en VF, histoire de se bidonner un bon coup, le film prend une tout autre dimension quant visionné en VO et en gardant bien en tête qu’il s’agit d’un documentaire sur une tournée et non un simple concert filmé.

Stupeur donc de découvrir un film bon. Très bon même. Devenant presque accessoires, les très brève parties live (en couleurs) laisse place à une œuvre tournée dans un noir/blanc digne d’un film noir de la grande époque. Une réalisation de très bonne facture d’Alek Keshishian, jusque-là réalisateur de vidéoclips, propulsé metteur en scène du doc après le désistement d’un certain David Fincher.

L’ambivalence de l’ensemble, à la fois très contrôlé par Madonna, productrice du film, et de sa volonté de se montrer sans fard, très pro et proche de son personnel (comprendre : ses indispensables danseurs et son équipe technique totalement dévouée) tranche lucidement avec une provocation savamment orchestrée (Linda Lovelace, largement détrônée dans une séquence devenue culte, a dû en faire des crises de jalousie).

Au final, In Bed with Madonna pourrait presque passer pour une œuvre de fiction, tant tout ce qu’on y voit semble irréel. Que ce soit d’assister une séance de drague lourdingue de Madonna envers un Antonio Banderas qui ne sait plus comment se débarrasser de la superstar, pour le coup positionnée dans l’attitude d’une midinette adolescente, ou la manière dont elle clache Kevin Costner, présent car invité au concert mais peu convaincu, dès qu’il a tourné les talons.

Film unique dans l’histoire du cinéma, In Bed with Madonna mérite donc une relecture avec l’œil de 2025. Un œil habitué depuis bien malgré lui à toute forme d’intrusion voyeuriste orchestrée de l’intimité d’une personnalité.

Où voir le film ?

Disponible en combo Blu-ray+DVD+livret chez Bubbel Pop’. Contrairement à Recherche Susan désespérément, paru il y a quelques mois chez le même nouvel éditeur, le présent film est disponible pour un prix plus raisonnable, car vendu sans fioritures encombrantes.

Quatre longues interviews réalisées pour cette édition forment les bonus. Entre l’intervenant à côté de la plaque, celui qui n’a rien à dire et un qui s’écoute parler, on retiendra le discours d’Olivier Cachin. Très à l’aise, connaissant son sujet sur le bout des doigts et passionnant dans son exposé, l’ancien présentateur de RapLine est la vraie plus-value de ces suppléments.

Les personnes désireuses de (re)voir le Blonde Ambition Tour sont invités à se rendre sur Youtube, où il est possible de trouver, sans grande difficultés, des versions restaurées des deux laserdics parus respectivement à l’époque en France et au Japon. Donc avec deux captures distinctes du concert. De quoi plonger complètement dans ce spectacle, qui reste assurément la meilleure représentation scénique de la Madonne.

LES RITES SEXUELS DU DIABLE (LOS RITOS SEXUALES DEL DIABLO, José Ramon Larraz, 1982)

Après la mort brutale de son frère, Carol (Vanessa Hidalgo) se rend en Angleterre chez sa belle-sœur Fiona (Helga Liné) avec son fiancé. Rapidement, elle découvre que cette dernière s’adonne à des pratiques de messes noires au sein d’une secte d’adorateurs du Diable…

Avec un titre pareillement racoleur, il y avait de quoi se méfier. Mais lorsqu’on s’aperçu que cette curieuse bobine espagnole, datant du début des années 1980, était paru sous la houlette d’Artus Films, l’envie de faire confiance à cet éditeur a le ligne éditoriale digne d’un parfait équilibriste passa au-dessus d’un quelconque a priori.

Premier constat : le travail d’équilibriste, consistant à mélanger les genres sans que la chose ne paraisse saugrenue, est autant applicable à Artus qu’au cinéaste José Ramon Larraz (Vampyres), tant le mix entre un érotisme graphique évident et une ambiance horrifique contemporaine, typique du cinéma ibérique de genre de l’époque, fait ici bon ménage.

De là à dire que Les rites sexuels du Diable est un cas d’école, il n’y a qu’un petit pas. On a beau chercher d’autre exemple de métrages ayant su surfer avec succès entre deux styles propres au cinéma bis, il semble en effet difficile de trouver plus représentatif que ce film de Larraz, pourtant considéré très injustement comme l’un de ses plus mauvais.

Restant encore à ce jour le seul réalisateur ayant une œuvre exclusivement destinée aux cinémas de quartier, mais dont un film s’est retrouvé en lice pour la Palme d’Or (Symptoms, 1974), Larraz parvient, au même titre que le britannique Pete Walker (dont Flagellations et Mortelles confessions, deux des meilleures bobines, sont également sortis chez Artus), à créer une ambiance hautement anxiogène avec peu de chose et des moyens ultra-réduits.

Tandis que toute l’intelligentsia culturelle sacralise l’exhumation miraculeuse du pourtant très moyen The Appointment de Lindsey C. Vickers (1981), la sortie du présent film de Larraz risque malheureusement de passer inaperçue en dehors du petit cercle d’aficionados d’un cinéma de genre qui parfois, comme ici, parvient à être plus qu’un simple produit d’exploitation périssable. A découvrir donc sans préjugé.

Où voir le film ?

Disponible en combo Blu-ray+DVD chez Artus Films. Présentant quelques défauts, la pellicule utilisée pour le transfert reste de très bonne tenue, avec un très bon rendu de la photographie originelle, donnant au film un aspect très 70s.

JASON BOURNE : L’HERITAGE (THE BOURNE LEGACY, Tony Gilroy, 2012)

Jason Bourne étant sur le point de mettre à jour Treatstone, un programme destiné à fabriquer des tueurs à la solde du gouvernement américain, les responsables de la CIA décident de mettre un terme à d’autres projets parallèles. Aaron Cross (Jeremy Renner), membre actif du protocole Outcome, se voit malencontreusement destiné à faire partie des dommages collatéraux. C’était sans compter sur la ténacité de cet agent ultra performant…

Les trois adaptations cinématographiques du personnage de Jason Bourne, né sous la plume de Robert Ludlum, ont été de tels succès qu’il ne fut guère étonnant d’apprendre qu’un nouvel opus serait mis en chantier par Universal. Mais au grand étonnement de tous, cette aventure, bien que reprenant le titre original du quatrième ouvrage de la saga littéraire (La Peur dans la Peau en français), se fera sans Matt Damon.

Un si petit détail ne devait, en tout logique, point freiner Hollywood à tenter ramener encore quelques deniers dans ses tiroir caisses. Par chance, la production a su confier l’entreprise à Tony Gilroy qui, outre avoir signé Michael Clayton en 2007, un excellent thriller avec George Clooney, est également un scénariste de talent (on lui doit les trois premiers Jason Bourne mais aussi l’adaptation de Jeux de Pouvoir de Kevin Mcdonald). Dès lors, il était clair que The Bourne Legacy tiendrait la longueur.

Malin, Gilroy reprend un stratagème déjà utilisé par le vétéran Irwin Allen pour Le Dernier Secret du Poséidon en 1979. A savoir que son film ne sera point une suite à La Vengeance dans la Peau (The Bourne Ultimatum, 2007), le dernier épisode en date, mais une aventure se déroulant en parallèle. Ainsi, l’arrivée d’Aaron Cross, sorte d’alter ego à Bourne issu d’un autre programme de la CIA, ne paraît point saugrenu pour le spectateur.

Certes parfaitement inutile, cette manœuvre aurait très bien pu voir le jour de manière indépendante. A savoir qu’Aaron Cross aurait sans doute su se trouver une identité sans Jason Bourne. Sauf que ce simple patronyme aura suffi, à l’évidence, à assurer une partie des recettes du présent métrage.

Alors, cet héritage est-il une arnaque ou pas ? Définitivement non. Pouvant aussi bien s’adresser aux aficionados de la première heure qu’aux néophytes, The Bourne Legacy parvient à se créer une existence à part entière. Il est donc tout à fait concevable de visionner le présent film sans avoir jamais eu connaissance jusque là de la moindre information sur le personnage de Jason Bourne. Ceci sans parler de la présence au générique de la sublime Rachel Weisz qui, à elle seule, justifierait presque le prix du ticket de cinéma…

Texte originellement publié dans la presse romande en septembre 2012.

Où voir le film ?

Disponible chez Universal en 4K, Blu-ray et DVD à l’unité ou en coffret intégrale accompagné des 4 autres métrages de la franchise.

MAGNUM COP (POLIZIOTTO SENZA PAURA, Stelvio Massi, 1978)

Ancien flic écarté des forces de l’ordre à cause de ses méthodes expéditives, Walter Spada (Maurizio Merli) se voit confier par un riche homme d’affaires autrichien la mission de retrouver sa fille, récemment enlevée. Son enquête va le mener jusqu’à Vienne, au cœur d’un réseau de prostitution impliquant des représentants des hautes sphères de l’État…

Troisième des six collaborations entre le cinéaste Stelvio Massi, artisan incontournable du poliziotesco, et Maurizio Merli, alter-ego transalpin de notre Bébel national, Magnum Cop est également la meilleure cuvée du tandem.

La probable obligation, via la co-production, de situer l’action du film à Vienne, capitale autrichienne hautement cinématographique bien que n’ayant pas souvent été mise à contribution (Le troisième homme de Carol Reed, Scorpio de Michael Winner) donne au métrage un ton différent, qui tranche largement avec son introduction quelque peu hasardeuse, à mi-chemin entre la comédie et le polar.

Anticipant de manière inconsciente des métrages français abordant une thématique similaire (La femme flic d’Yves Boisset, Les filles de Grenoble de Joël Le Moigné), Magnum Cop fait également méchamment penser, par sa volonté de délocalisation et de profiter du monde de la nuit local via des boîtes de nuits très « porno chic », au Corps de mon ennemi d’Henri Verneuil (le fait que l’appartement de Merli soit nanti de plusieurs affiches italiennes de Peur sur la ville n’est sans doute pas totalement étranger à une volonté de rattachement).

Seule incursion de Joan Collins dans la cinéma bis transalpin, Poliziotto Senza Paura offre à la comédienne britannique une belle occasion de peaufiner son personnage de femme ambivalente aux contours vils assez effroyables. Bien que n’apparaissant qu’à mi-parcours via une scène de strip-tease n’ayant rien à envier à celui de Frida de Düsseldorf et ayant à lui-seul suffit à assurer la promotion mensongère du film sur territoire alémanique, elle parvient non seulement à se rendre indispensable à l’équilibre du métrage, mais aussi à être suffisamment horrible pour rester dans les mémoires bien au-delà des autres protagonistes.

Régulier collaborateur de Stelvio Massi, Stelvio Cipriani se fend une nouvelle fois qu’une bande originale ultra agréable, sans manquer à son habitude de singer, pour ne pas dire plagier, la ligne harmonique d’un titre ultra-emblématique. A savoir dans le cas présent Shine On You Crazy Diamond, pharaonique morceau d’ouverture de l’album Wish You Where Here de Pink Floyd.

Polar transalpin de très haut vol, Magnum Cop pourrait d’ailleurs très facilement servir de cas d’école au genre, quand bien même ce dernier fut produit au moment où le poliziotesco arrivait à son chant du cygne. Une œuvre idéale en tous les cas pour se familiariser avec les représentants expéditifs des forces de l’ordre italiens.

Où voir le film ?

Disponible en combo Blu-ray+DVD chez Artus Films. Comme toujours avec l’éditeur, le produit est aussi joli que la copie est impeccable, avec un très beau piqué et des couleurs flamboyantes. En parfaite adéquation donc avec la ligne éditoriale d’Artus, qui creuse depuis de nombreuses années, avec talent et professionnalisme, les sillages d’un cinéma de genre de grande qualité.