LA CEINTURE NOIRE (BLACK BELT JONES, Robert Clouse, 1974)

Suite à l’assassinat de Pop (Scatman Crothers), un vieux propriétaire de salle de karaté, Black Belt Jones (Jim Kelly), un expert en art martiaux accessoirement justicier, se décide à faire le ménage…

Tu te fais racketter dans la cour de récré ? Ton voisin s’amuse à tondre sa pelouse le dimanche ? Quelqu’un a mis du sucre dans le réservoir de ta mobylette ? Appelle Black Belt Jones (Jim Kelly) à la rescousse !

Faut pas le faire chier, Black Belt. C’est un expéditif. Le Dirty Harry de la tatane, Le Paul Kersey de la savate… C’est aussi un marrant. Pas la moindre réserve pour entamer une course-poursuite sur la plage, façon Benny Hill, après avoir réussi l’exploit de nous faire un quadruple salto arrière. Le tout avant d’aller prendre le soleil sur la terrasse de sa splendide maison en bordure de mer (qu’il a sans doute payée en arrondissant ses fins de mois en bossant pour les fédéraux).

Bon, c’est un macho, un homme à femme, une relique des années 70 donc, mais qui va tantôt se faire remettre à l’ordre par Sydney (Gloria Hendry, ex-James Bond Girl superstitieuse dans Vivre et laisser mourir), la fille de Pop (Scatman Crothers, affublé d’une perruque !). Quand il ordonne à la petiote de faire la vaisselle plutôt que de vouloir le seconder, elle sort direct son Magnum… et flingue les assiettes !

Produit suite au succès d’Opération Dragon par le même tandem (Fred Weintraub et Paul Heller) et une nouvelle fois mis en scène par Robert Clouse, La ceinture noire souffre évidemment de l’absence de Bruce Lee, décédé prématurément. Par chance, la présence de Jim Kelly et le ton décomplexé de l’ensemble, fleurtant pourtant à chaque seconde avec le grotesque, tient comme par miracle le film en équilibre jusqu’à la surréaliste séquence finale en forme d’hommage (sans doute involontaire) à The Party de Black Edwards.

Surfant à la fois sur la vague blaxploitation et le film de kung fu, Black Belt Jones s’offre en prime une BO assez exceptionnelle, malheureusement uniquement disponible via un LP tardif mixant, de manière aussi hasardeuse qu’inutile musique, dialogues et effets sonores de tatanes et autres vocalises « bruceliennes » (sans doute directement issue de la bande son finale du film).

Où voir le film ?

Mis à part une VHS locative sortie en 1983, La ceinture noire n’a jamais connu d’édition francophone. On notera un DVD aux Etats-Unis (avec des sous-titres français) présent au sein d’un petit coffret intitulé Urban Action Collection. En Blu-ray, seule une édition US, sans la moindre option française, est à ce jour disponible chez Warner Archive.

UN HOMME EST PASSE (BAD DAY AT BLACK ROCK, John Sturges, 1955)

Pour la première fois depuis des années, le train s’est arrêté à Black Rock. Un homme en descend. Très rapidement, le curieux personnage, répondant au nom de John Macreedy (Spencer Tracy), éveille l’attention des rares habitants de cette bourgade perdue en plein désert. Qui est ce sexagénaire manchot ? Que vient-il faire à Black Rock ? Et surtout, pourquoi les résidents semblent-t-ils à ce point perturbé par sa venue ?

Néo-western magnétique, Bad Day at Black Rock fait partie de ces films de prime abord insignifiants. Il reste pourtant l’un des plus vibrants ouvrages produits par Hollywood dans années 1950.

Proposée dans un premier temps à Robert Wise, la mise en scène de Un homme est passé atterrit dans les mains de John Sturges, alors sous contrat avec la Metro-Goldwyn-Mayer. Il n’est sans doute pas exagéré d’affirmer que ce « petit film » forgera la future carrière de Sturges, tardive mais superbe, qui donnera naissance à quelques-uns des plus beaux fleurons du cinéma populaire hollywoodien, entre la fin des années 1950 et le début des seventies.

Bad Day at Black Rock est également un métrage que Sergio Leone devait avoir sur sa table de chevet. Unité de lieu et de temps, action resserrée au maximum, le tout filmé dans un majestueux CinemaScope, atteste de l’influence que le présent long métrage a sans doute eu sur Leone. L’énigmatique personnage au centre de l’intrigue, faisant irruption dans un microcosme malsain afin d’y mettre bon ordre, a quant à lui certainement inspiré la dynamique de ses deux premiers westerns (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus).

Mettant en exergue le problème des émigrés nippo-américains malmenés aux Etats-Unis après 1941, Bad Day at Black Rock parvient mieux que n’importe quel pamphlet frontal à sensibiliser le public à un état de fait dramatique bien qu’encore méconnu de nos jours en provoquant un sentiment de malaise évident. Une bobine précieuse à la fois dense, simple, resserrée et efficace, qui reste encore aujourd’hui très moderne dans sa forme. A (re)découvrir de toute urgence donc.

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Jadis, Bad Day at Black Rock fut disponible en DVD. Depuis, il a été réédité en Blu-ray chez Warner Archive, mais sans la moindre option française. Un disque homologue, plus ou moins légal, est apparu en Espagne et, ô miracle, toutes les options françaises y sont disponibles et la copie est aussi rutilante qu’outre-Atlantique.

LA FUGUE (NIGHT MOVES, Arthur Penn, 1975)

Ancien jouer de football américain reconverti détective privé, Harry Moseby (Gene Hackman) est engagé par Arlene Iverson (Janet Ward), une star de cinéma vieillissante, pour retrouver sa fille fugueuse Delly (Melanie Griffith). Proche du milieu des cascadeurs employés par les studios de cinéma, la nymphette de 16 ans aurait peut-être fui chez son beau-père Tom (John Crawford) en Floride…

Perdu au milieu de la filmographie de son réalisateur Arthur Penn et de son acteur principal Gene Hackman, La fugue fait partie de ces métrages oubliés car peu diffusés à la télévision et jamais, mis à part une VHS parue au début de l’ère du vidéoclub, exploité en vidéo. Cette précieuse bobine a néanmoins de quoi susciter un vif intérêt pour l’aficionado de bons polars seventies.

Film néo-noir ensoleillé, Night Moves fait partie de pelloches produites durant une courte mais précieuse parenthèse, durant laquelle Hollywood tentera de redonner ses lettres de noblesses à un genre tombé en désuétude. Le privé de Robert Altman, La toile d’araignée de Stuart Rosenberg ou Le flic se rebiffe de Burt Lancaster sont là pour attester d’une évidente volonté de tenter créer un effet de mode à travers ces modernisations de films noir, façon seventies. Si les femmes fatales y sont moins glamours et les détectives moins charismatiques, les intrigues restent quant à elle toujours aussi vénéneuses.

A aucun instant de Night Moves, Arthur Penn ne cherche à créer le suspense ou un quelconque climat de tension. Bien au contraire. Proche à tout moment de son personnage central, le cinéaste prend le temps de créer un climat pesant autour de protagonistes a priori sans relief. L’astuce fait mouche : au moment précis où l’audience pense être au bout de ses surprises, le film verse dans sa vraie noirceur vénale.

Aussi moite qu’un été gorgé de soleil, La fugue laissera au spectateur patient, notamment via sa vertigineuse séquence finale, l’inaltérable image d’un polar important. Egalement une unique occasion de voir Melanie Griffith le visage empli de pureté. Une œuvre très importante bien que souvent oubliée dans la carrière de Penn.

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Assez curieusement, La fugue n’a jamais connu d’édition française. Un DVD américain (zone 1), contenant une VF et les sous-titres idoines, est encore trouvable en occasion. En HD, le film a été édité dans la collection Warner Archive et dernièrement chez Criterion, via une récente restauration 4K et de nombreux bonus. Et bonne surprise, les disques du prestigieux label sont exceptionnellement libres de zone. A noter qu’aucune des éditions HD ne contient d’option française.

CHINATOWN (Roman Polanski, 1974)

Los Angeles, 1937. Ancien flic devenu privé, Jake Gittes (Jack Nicholson) est engagé par Evelyn Mulwray (Diane Ladd) pour surveiller son mari adultère, un ingénieur du service des eaux de la ville. Rapidement pris sur le fait, l’époux fait la une des journaux à scandale. C’est à ce moment précis que Jake voit débarquer dans son bureau la vraie Mme Mulwray (Faye Dunaway), que le détective n’avait jusque-là jamais vue…

On ne le dira jamais assez : les années 1970 ont laissé émerger aux Etats-Unis un nombre incalculable d’œuvres majeures, à jamais entrées dans l’histoire du cinéma. Au registre, Chinatown tient clairement le haut du pavé. La mise en chantier du film doit beaucoup à l’audace de Robert Evans, producteur clairvoyant au sein de la Paramount, qui finançait là son premier long métrage en tant qu’indépendant, donc en complète liberté artistique mais tout en laissant la distribution du film sous la houlette de la major.

Le milieu des seventies est également une période propice aux œuvres néo-noires. Une manière adroite de revenir à un genre essentiel dans les années 1940, tout en affichant des métrages largement plus moites, où malversations politiques côtoient systématiquement de sordides affaires sexuelles au sein de familles respectables. Du Privé de Robert Altmanau Flic de rebiffe de Burt Lancaster, une volonté nette d’afficher l’essence même de films noirs au cœur de films d’auteur est donc plus que jamais palpable au cœur du Hollywood des seventies.

Désireux de situer son intrigue à l’époque correspondant aux faits historiques, le scénariste Robert Towne ancre son intrigue à la fin des années 1930 en s’appuyant, comme point de départ, sur un point précis de l’histoire de Los Angeles. A savoir la guerre pour l’eau. Plutôt que de tenter de livrer une version fidèle de cet épisode trouble de la ville, qui mena un « petit village » à devenir la mégapole que l’on sait, Towne utilise des faits historiques comme toile de fond sur laquelle il peaufine des personnages propres au film noir.

Intelligent, Robert Towne ne se contente pas d’afficher les simples stéréotypes des incontournables personnages propres au genre. Ainsi, Jack Gittes est clairement un électron libre prêt à exploser à tout instant, tandis qu’Evelyn Mulwray cachera jusqu’à l’ultime retranchement du film sa vraie personnalité, assurément plus proche d’une femme libérée des seventies que de la simple vamp des années 1940.

Nanti d’une mise en scène ultramoderne mais qui sait rester discrète, Chinatown est assurément le mètre-étalon du film néo noir. A savoir une œuvre révérencieuse au genre, mais qui sait dépasser ses codes. La chose reste à démontrer, mais fort est à parier que le film de Polanski a servi de modèle à Curtis Hanson pour L.A. Confidential (1997). Détail amusant : bien que reconnues aujourd’hui comme étant totalement essentielles dans l’histoire du cinéma US, les deux bobines ne se verront récompensées que par un seul et unique Oscar secondaire à l’époque de leur sortie…

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Chinatown est disponible en Combo 4K+Blu-ray, Blu-ray et DVD chez Paramount (distribution Suisse : Rainbow Home Entertainment)

LE TRIO INFERNAL (Francis Girod, 1974)

Marseille, début des années 1920 : Philomène Schmidt (Romy Schneider), jeune allemande sans travail ni permis de séjour, devient la maîtresse de Georges Sarret (Michel Piccoli), l’avocat-conseil le plus en vue de la ville. Afin que la jeune femme puisse obtenir le droit de rester en France, Sarret lui trouve un mari, Villette (Jean Rigaux), qui meurt un mois après le mariage de mort naturelle. Philomène partage l’héritage avec l’avocat, qui en profite pour faire venir d’Allemagne Catherine (Mascha Gonska), la sœur de Philomène, et en fait également sa maîtresse. Fort de cette première expérience profitable, Sarret imagine alors de monter des escroqueries à l’assurance-vie…

Ce rôle, c’est le suicide de Sissi ! C’est avec cette simple phrase que Francis Girod, dont Le trio infernal était le premier long métrage, réussit à convaincre Romy Schneider d’accepter le rôle de Philomène Schmidt, femme calculatrice n’ayant aucun scrupule à commettre, sous la « supervision » de George Sarret et avec la complicité passive de sa sœur, les pires atrocités dans l’unique but de s’enrichir.

Parfaitement amoraux, Michel Piccoli et Romy Schneider tenaient là assurément les personnages les plus radicaux de leur carrière, le tout dans un film au ton désinvolte, renforçant le côté totalement détaché des protagonistes face à leurs actes. N’ayant aucun mal à accepter de se mettre en danger, le couple à l’écran, dont il s’agissait là de la quatrième collaboration, illumine de son machiavélisme cette effroyable histoire, largement inspirée de faits authentiques.

Bien conscient qu’il tenait là une histoire sujette à provoquer le scandale, Francis Girod n’écarte aucunement la pire abomination commise par l’infâme trio : la dissolution dans l’acide sulfurique d’un couple encombrant, dont il devenait impératif de se débarrasser. Paraissant interminable, la très pénible séquence, pendant laquelle le trio, muni de seaux et de masques à gaz, fait une chaîne afin éliminer les restes décomposés des corps, peut sans autre rivaliser avec n’importe quel métrage anglo-saxon horrifique de la même période.

L’évocation de ladite scène-choc, qui aura d’ailleurs suffi à assurer la promotion du film à travers le monde à l’époque, démontre une chose : aussi outrancière soit-elle, une séquence peut toujours se justifier quand elle se révèle indispensable à l’intensité dramatique d’une œuvre.

Grande oubliée de l’histoire du cinéma, la comédienne Mascha Gonska, dont le personnage est le seul élément du trio à avoir conservé une once d’humanité, est évidemment indispensable à l’équilibre du film. Une comédienne qui, malgré une filmographie foisonnante durant une décennie, stoppera sa carrière à l’aube des années 1980.

Subtil film de genre évitant à chaque instant le racolage facile, Le trio infernal installait Francis Girod dans la cour des grands dès son premier long métrage. Une œuvre aussi éprouvante qu’atypique, mais totalement indispensable à l’histoire de cinéma.

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Disponible uniquement en DVD dans nos contrées. Pour une version HD, il faudra se tourner du côté de l’Allemagne pour tenter dénicher (le titre est épuisé mais encore trouvable sur les sites de revente) un très beau digibook Blu-ray+DVD contenant, en plus du film nanti d’une piste française, un livret richement illustré.

AMSTERDAMNED (Dick Maas, 1988)

A Amsterdam, plusieurs cadavres mutilés sont retrouvés aux abords des canaux. Aucun témoin n’ayant rien vu, l’inspecteur Eric Visser (Huub Stapel) soupçonne un maniaque, expert en plongée, qui tuerait au hasard sans jamais être inquiété…

Réalisateur popularisé en 1983 grâce à L’ascenseur, film d’horreur ultra-original en forme de portrait d’un lift fou se faisant un malin plaisir à dézinguer ses occupants, Dick Maas devait devenir le défenseur d’un cinéma de genre européen. Même si le propos de son métrage récompensé au Festival d’Avoriaz a de quoi faire sourire, son traitement anxiogène demeure, malgré les faibles moyens de l’entreprise, un classique du genre ayant fait trembler bon nombre de spectateurs à l’époque de son exploitation en salles.

Fort de cette expérience, le réalisateur néerlandais tente de se surpasser cinq ans plus tard avec Amsterdamned. Cette fois-ci aux commandes de la chaine complète, de la réalisation à la production en passant par l’écriture du scénario et de la musique, Dick Maas livre un film plus abouti.

Surfant à l’évidence sur la vague des Dents de la mer et autres films mettant en scène des vilaines bébêtes aquatiques, Maas tord le cou aux idées préconçues face à sa réputation de « maitre de l’horreur européen » en évitant à tout prix le fantastique. Ainsi, même si le cinéaste prend un malin plaisir à nous montrer quelques séquences croustillantes (la découverte du premier cadavre reste une image marquante pour toute personne ayant découvert le film à l’époque de sa sortie), le scénario d’Amsterdamned reste fidèle à un polar crédible.

Doté d’une course-poursuite marathon en hors-bord, dont la mise en place en plein cœur d’Amsterdam reste encore aujourd’hui bluffante, Amsterdamned a certes pris du plomb dans l’aile. Mais cet excellent thriller européen reste néanmoins le témoignage vibrant d’une époque où il était possible de proposer aux spectateurs des films de genre, à la fois maitrisés et convaincants, en provenance de territoires inattendus.

Texte extrait du livre « Le film de minuit – 1984-1994 : une décennie de séances culte »

Où voir le film ?

Amsterdamned a été édité en DVD à deux reprises en France (2002 et 2010). Par chance, le film de Dick Maas est disponible, avec une VF et un disque zone ALL (lisible dans nos lecteurs européens donc), aux Etats-Unis chez Blue Underground.